[Berlinale 2018] “Dovlatov” d’Alexeï Guerman Jr

© SAGa FilmsSi Sergueï Dovlatov est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands écrivains russes du XXème siècle, il n’en a pas toujours été ainsi. Pas de son vivant, en tout cas. Présenté en compétition lors de la 68ème Berlinale, le film d’Alexeï Guerman Jr nous le rappelle, en décrivant quelques jours de sa vie, dans les années 1970.

A cette période, Dovlatov essaie désespérément de faire éditer au moins l’un de ses écrits, afin d’intégrer le cercle officiel des écrivains russes et vivre pleinement de sa passion pour l’écriture. Mais il se heurte constamment au refus des éditeurs, qui jugent ses écrits trop ironiques, trop pessimistes, pour ne pas dire subversifs, ou qui ne font qu’appliquer bêtement les consignes du régime. Car si les années 1960 avaient ouvert la porte à davantage de liberté pour les artistes et les intellectuels russes, malgré la Guerre Froide et la construction du Mur de Berlin, ce n’est plus vraiment le cas dans les années 1970. Les jeunes peintres, poètes, écrivains et musiciens sont surveillés et leurs oeuvres n’ont aucune chance d’être diffusées si elles ne cadrent pas avec la ligne politique officielle, positiviste et propagandiste. Beaucoup sont contraints à l’exil ou au suicide, quand ils ne renoncent pas purement et simplement à leurs ambitions artistiques. Alors, ils se serrent les coudes et organisent des cercles artistiques underground. Là, ils présentent leurs oeuvres aux autres artistes, débattent de leurs découvertes et de leurs dernières lectures, boivent de la vodka jusqu’au bout de la nuit en écoutant du jazz américain. Ils refusent de se laisser enfermer dans un ghetto artistique. Mais il faut bien vivre… Dovlatov, après avoir travaillé pendant trois ans comme gardien de prison, a trouvé un travail de journaliste qui lui permet de vivoter, mais, bien que plus en rapport avec l’art de l’écriture, ce nouveau job ne fait que raviver sa frustration. On lui demande en effet d’écrire des articles sans style et sans âme sur des sujets inintéressants. Il tente de résister, de trouver des angles d’attaque plus incisifs, plus critiques, d’ajouter des doubles sens, mais ses astuces commencent à agacer ses employeurs. Tout le monde lui fait amicalement comprendre qu’il a intérêt à jouer le jeu pour avoir une chance de s’attirer les faveurs des éditeurs. Alors forcément, il réfléchit sérieusement à la question, d’autant que son couple bat de l’aile. Comment va-t-il faire pour offrir à sa fille la poupée de ses rêves? Comment peut-il reconquérir le coeur de son épouse s’il n’arrive pas à devenir un véritable écrivain? Mais jusqu’à quel point peut-il se compromettre sans perdre son intégrité artistique?

Le film montre bien les tourments vécus par les artistes russes durant les heures sombres du socialisme soviétique, par ces peintres plus talentueux que Pollock, mais qui resteront à jamais méconnus, par ces poètes maudits qui n’obtiendront que bien plus tard leur réhabilitation, comme Joseph Brodsky, Prix Nobel de littérature en 1987 après avoir été rejeté par tous les éditeurs russes.
Il montre aussi comment les artistes et, plus généralement, les intellectuels, constituent une forme de résistance contre les régimes totalitaires et tous les petits potentats qui tentent d’imposer leurs idées et leurs modes de vie à l’ensemble du peuple, enfermant les cultures sur elles-mêmes. Ils se nourrissent de leurs déboires pour créer et transformer le rejet, l’indifférence, la censure en lueur d’espoir.

Pour cet hommage aux artistes russes opprimés, le film mérite le détour. Mais sa forme, forcément bavarde et assez austère, ne plaira pas à tout le monde.