[Berlinale 2018] “River’s edge” d’Isao Yukisada

Par Boustoune

Présenté en ouverture de la section “Panorama” de la 68ème Berlinale, River’s edge est l’adaptation du manga éponyme de Kyôko Okazaki.

Il s’agit d’une oeuvre curieuse, qui suit les péripéties d’un groupe de jeunes lycéens en quête de repères, au début des années 1990. On découvre leur quotidien en classe, morne et ennuyeux, leurs amours, autrement plus complexes et tumultueux, leurs occupations nocturnes, pour le moins atypiques. Haruna, une jeune fille sage, sort avec Kannonzaki, un garçon très populaire, mais qu’elle n’aime pas vraiment. Leur relation, déjà mal en point, se dégrade quand elle réalise qu’il est la brute épaisse qui harcèle un de leurs camarades, Ichiro, un jeune homme plus sensible et délicat que la moyenne. Lui aussi s’inflige une relation amoureuse qui ne lui convient pas. Il sort avec une fille du lycée, gentille mais un peu nunuche, alors qu’il est attiré par un autre garçon. Quand il n’est pas tabassé par le gang de Kannonzaki, Ichiro aime traîner dans le terrain vague au bord de la rivière pour y admirer son “trésor”, un cadavre qu’il a découvert quelques semaines plus tôt, à moitié enterré au milieu des herbes folles. Il n’a pas prévenu la police et n’en a parlé à personne, sauf à Haruna et Kozue, une jeune mannequin atteinte de boulimie.
La meilleure amie d’Haruna connaît elle aussi des moments difficiles. Séduite par Kannonzaki, qui trouve auprès d’elle la possibilité d’assouvir ses fantasmes sexuels violents, elle hésite sur l’attitude à adopter avec lui. Elle doit aussi composer avec une petite soeur trop curieuse, qui passe son temps à fouiner dans son journal intime…

On sait d’emblée que tout cela va mal finir puisque, à l’issue de la première, scène, l’interview d’Haruna tenant à la main un ours en peluche à demi-carbonisé, un plan montre un corps en flammes tomber du balcon d’un immeuble et s’écraser au sol. On se doute qu’il s’agit de l’un des personnages précités, mais lequel? Ichiro, victime d’une énième persécution? Kannonzaki, finalement terrassé par son bouc-émissaire? Kozue, qui, lassée de s’empiffrer de nourriture avant de tout vomir, aurait songé au suicide ? Le film laisse planer un léger suspense qui sera bien évidemment levé à la fin du récit, mais l’intérêt est ailleurs. Ce qui semble avoir séduit le cinéaste, c’est l’insouciance de ces adolescents qui consument trop vite leur jeunesse, leur rapport à la vie et à la mort, qui ne sont, à cet âge, que des concepts abstraits.

Sans doute parce que le cinéaste a cherché à être fidèle à l’oeuvre originale, River’s edge est un peu trop long et souffre de nombreux problèmes de rythme. Il s’abandonne parfois à des effets de mise en scène faciles et lourdingues, comme ces scènes de sexe qui se terminent par des plans où  Kozue se gave de nourriture, de préférence de forme phallique, jusqu’à la nausée. Il y a aussi la sensation d’un “trop plein”, d’une oeuvre trop chargée, trop pesante, alors qu’un peu d’épure et de subtilité aurait davantage servi le propos du cinéaste. Le film d’Isao Yukisada recèle néanmoins quelques jolis moments de grâce, quand les audaces de mise en scène s’avèrent payantes ou que les jeunes comédiens peuvent prendre le temps de développer un peu leurs personnages, en jouant sur les nuances.
Cela est suffisant pour nos inviter à suivre de bout en bout cette drôle de chronique adolescente, funèbre et mélancolique.