Si vous comptiez sur Twarz, le nouveau long-métrage de Małgorzata Szumowska, pour vous donner envie de découvrir la Pologne, c’est raté. Il lui suffit d’une scène pour décrire l’ambiance qui vous attend là-bas : elle filme des visages au mieux inexpressifs, au pire complètement usés, fatigués, à bout de souffle, épuisés par des conditions de vie difficiles, sous l’emprise des autorités politiques ou religieuses. Tout ce petit monde attend l’évènement fun et festif de l’année : des soldes exceptionnelles à faire… en sous-vêtements. Evidemment, cela vire au pugilat pour récupérer l’écran plat à –70% ou l’ordinateur portable à moitié prix… Chacun pour soi! Un peu comme en France, quand il y a une promo sur la pâte à tartiner aux noisettes…
Le personnage principal, Jacek (Mateusz Kosciukiewicz), aimerait bien s’extirper au plus vite de cette société-là. Si on le surnomme Jésus à cause de sa barbe et de ses longs cheveux châtains, il n’est pas du genre à tendre la joue gauche si on le frappe sur la droite et plutôt que de diffuser une parole d’évangile, il aime hurler sa haine contre les habitants de la petite ville où il habite, ces ploucs dégénérés et alcooliques, ces vieilles bigotes qui épient les faits et gestes de tout le monde. Lui n’appartient pas à ce monde-là : il aime le hard-rock, la vitesse et la danse. Il veut partir pour Londres, une ville où il pourra être plus libre, même si avec le Brexit, cela devient plus compliqué pour les migrants européens. Seules deux personnes trouvent encore un peu grâce à ses yeux, dans ce patelin pourri : sa soeur (Agniezska Podsiadlik), seule membre de la famille à le soutenir envers et contre tout, et sa petite amie Dagmara (Małgorzata Gorol), une fille aussi rebelle que lui, qu’il souhaite épouser au plus vite.
Ses plans sont contrariés quand, alors qu’il travaille sur le chantier de construction d’une statue géante du… Christ (ça ne s’invente pas…), il est victime d’un terrible accident qui le rend complètement défiguré. Après avoir subi, plus ou moins avec succès, une transplantation du visage, il essaie de reprendre le cours de sa vie normalement. Mais il doit composer avec sa nouvelle “gueule” (“Twarz” en hongrois), qui attire de nombreux parasites essayant de profiter de sa soudaine notoriété, mais provoque aussi le rejet de certains de ses proches, notamment sa mère, à qui la greffe pose un problème éthique, et surtout Dagmara, qui ne semble plus éprouver le moindre désir envers lui.
Si le scénario du film de Małgorzata Szumowska raconte la difficile résurrection de ce Jésus polaque, l’intrigue sert surtout à livrer une critique corrosive de la Pologne actuelle qui, après s’être remise péniblement des années d’oppression soviétique, est entre les mains des nationalistes et des traditionnalistes religieux. Face à ces intégristes et leurs mesures liberticides, face aux méandres d’une administration kafkaïenne, même la gigantesque statue du Christ sur laquelle travaillait Jacek finit par détourner le regard.
La cinéaste, elle, entend bien ouvrir les yeux des spectateurs et leur demander la réalité à laquelle est confrontée son pays. Elle le fait avec beaucoup de finesse et d’humour, et livre l’une des plus belles surprises de cette compétition berlinoise.