[Berlinale 2018] “In den gängen” de Thomas Stuber

In den gangen - affpro In den gängen s’ouvre sur un curieux ballet de chariots élévateur sur l’air du “Beau Danube Bleu”de Johann Strauss, dans les allées de l’entrepôt d’un supermarché allemand.
C’est là que Christian (Franz Rogowki) vient d’être engagé. Après lui avoir trouvé un bleu de travail à sa taille, le patron l’emmène directement à sa nouvelle affectation, le rayon des boissons alcoolisées. Son collègue Bruno (Peter Kurth) lui apprend les bases du métier. Rien d’hyper compliqué, à première vue : il faut déplacer des palettes pleines, ranger les conteneurs vides et veiller à ce que les rayons du magasin soient toujours approvisionnés. Mais il faut savoir manier les outils. En tant que petit nouveau, Christian doit se contenter du banal tire-palettes manuel. Il ne semble pas encore prêt à utiliser le transpalette électrique ou le gerbeur à double mâts, et encore moins l’outil ultime, le chariot élévateur…

Bruno lui apprend aussi la géopolitique des lieux. Car quand on fait ses courses, on a du mal à imaginer ce qu’il se passe dans les coulisses. C’est une véritable guerre pour les chariots électriques, qui ont une fâcheuse tendance à se décharger lorsqu’on les utilise. Dans ce combat tactique, leur service est l’ennemi juré du service des produits en conserves et des primeurs. Il entretient des relations plutôt froides avec la Sibérie – surnom du rayon surgelés – mais il est allié au rayon des sucreries et confiseries.
Cela tombe bien, c’est là que travaille Marion (Sandra Hüller), la belle magasinière blonde qui lui a immédiatement tapé dans l’oeil. Bien que cet entrepôt sordide où ne pénètre jamais la lumière du jour soit vraiment un drôle d’endroit pour une rencontre, il décide de séduire par tous les moyens celle qui a fait fondre son coeur. Mais la manoeuvre s’avère aussi délicate que le maniement du chariot élévateur. Il faut y aller en douceur, pas à pas, la moindre erreur pouvant se terminer en catastrophe – les films bien gores qu’on leur diffuse en boucle, pour les sensibiliser à la sécurité, en sont la preuve.

A ce point du récit, on se dit que le film va continuer sur la même tonalité de comédie romantique loufoque, quelque part entre Toni Erdmann (qui, déjà, exploitait le talent de la craquante Sandra Hüller) et la poésie décalée des films d’Aki Kaurismaki, mais le cinéaste n’hésite pas à bifurquer vers d’autres voies, plus dramatiques, plus sensibles.
Plus qu’une banale bluette permettant de teinter la vie en rose bonbon factice, il dépeint le blues de ces cols bleus enfermés dans une routine “métro-boulot-dodo” assez déprimante, saisit leur manque de possibilités d’ascension sociale, leurs rêves brisés et leur profonde solitude, qu’ils essaient de tromper, tant bien que mal, en partageant des moments de convivialité au travail, comme ce réveillon de Noël improvisé.

Le film séduit par son ambiance, ses ruptures de ton, ses personnages un peu paumés, mais terriblement attachants. Il clôt une compétition assez inégale, dans laquelle il a de bonnes chances de figurer au palmarès si le jury privilégie les oeuvres poétiques aux expérimentations art & essai pointues (1).

(1) : Raté… La critique a été écrite avant la remise du palmarès, le 24 février…