Dramatica : la théorie expliquée (88)

Par William Potillion @scenarmag

Le concept de Justification est important pour la théorie Dramatica. Le chapitre 11 lui a été entièrement dédié. Je vous renvoie à sa lecture qui peut apporter des lumières intéressantes pour tout auteur.

CHAPITRE 11 : RESOLUTION DE PROBLEME ET JUSTIFICATION
  1. DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (25)
  2. DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (26)
  3. DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (27)
  4. DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (28)
  5. DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (29)

Le sommaire de tous les articles :
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE
Pour résumer ce chapitre 11, il faut accepter que toutes nos expériences de vie ont en quelque sorte constitué une base de données dont nous nous servons au quotidien pour résoudre nos problèmes.

Nous maintenons plus ou moins consciemment ces données et par un jeu de réminiscences les appliquons lorsque des circonstances ou une situation nouvelles dont nous n’avons pas l’habitude surgit dans nos vies.

Une relation causale

Par le passé, nous avons vécu des processus pour permettre de résoudre des problèmes. Ces processus ont mené à des résultats. Nous avons ainsi établi une connexion entre des causes et des effets. Lorsqu’il s’agit d’anticiper des conséquences possibles face à une situation nouvelle, nous reconsidérons ces connexions et ne les questionnons pas.

Nous les considérons comme absolues niant les conditions actuelles de la situation. Notre compréhension de la situation actuelle se fonde sur le principe qu’une même cause apparente produira le même effet sans tenir compte que les conditions actuelles ont probablement grandement altéré l’environnement et que la cause retenue ne produira probablement plus le même effet.
En d’autres termes, en appliquant ce que l’habitude nous dicte, il n’y a aucune garantie que nous solutionnons le problème auquel nous faisons face ici et maintenant.
Puisque nous espérons un résultat avec des données inappropriées aux circonstances actuelles.

Bien sûr, il n’est pas vain de pouvoir répondre à des situations nouvelles en se basant sur nos expériences. Celles-ci nous autorisent d’ailleurs de sérieuses expectations pour planifier en quelque sorte ce que sera notre futur.
Mais qui peut prédire son avenir avec certitude ?

Il faudrait une totale connaissance de notre monde et de nous-mêmes pour affirmer indubitablement de quoi sera fait notre lendemain. Pour le moment, ceci n’est pas à notre portée.
Néanmoins, nous ne cessons d’apprendre et de redéfinir notre compréhension et ce que nous anticipons.

Ce qu’il faut comprendre est que l’expérience nous permet d’anticiper des résultats. Nos expériences sont d’ailleurs si nombreuses que nous avons fini par les classer et les hiérarchiser.
Ainsi devant des situations que nous ne connaissons pas, il est plus simple ou apparemment plus efficace de répondre par un comportement, une attitude, une décision ou simplement une explication qui s’ancrent dans cette base hiérarchisée de nos expériences même si l’explication que nous osons donner à la situation nouvelle est improbable ou inutilement compliquée.
Cela nous semble en fait plus facile que de redéfinir notre entière base de connaissances.

Ce n’est pas parce qu’un incident singulier ne se conforme pas aux conclusions que l’on attend que nous devons tout remettre en question. La nature humaine est ainsi faite qu’elle préfèrera toujours les solutions de facilité. Seulement lorsque l’on se retrouve face à l’inconnu, à quelque chose que l’on n’a jamais éprouvé, nous tentons d’abord de le justifier en présupposant une quelconque force cachée.
Ce qui, croyons-nous, met un terme provisoire aux informations conflictuelles qui se mettent en branle en nous entre ce que nous savons par nos expériences et cette nouveauté que nous devons gérer d’une manière ou d’une autre.

En présupposant d’abord que l’événement nouveau nous dépasse, nous ne pouvons l’intégrer immédiatement dans notre base de connaissances puisque nous n’avons pas encore les conclusions de cette expérience.
Donc, nous n’apprenons rien. En effet, on ne peut pas apprendre d’une erreur si celle-ci n’est pas encore consommée.

Pourtant, lorsqu’une expérience est complète (par exemple, on sait quelles conséquences ont lieu lorsqu’on fait certains choix), cette information est précieuse pour guider nos vies.
Intégrer cette expérience et son résultat certain dans notre base de connaissances est ce que Dramatica nomme Justification. Parce que cela nous permet de justifier, d’expliquer pourquoi nous adoptons certains comportemets, attitudes, postures ou bien nous faisons certains choix et prenons certaines décisions face à des situations qui nous sont encore inconnues.

Par exemple, le commandant du Titanic s’est laissé emporter par ses convictions que de nombreuses années de pratique ont gravées dans ses décisions. Le choix de pousser la puissance du navire a été aveuglé par ces années d’expérience. Il a justifié ou plutôt s’est justifié cette décision parce qu’il avait l’habitude de situations similaires.

Cependant, les conditions actuelles ne pouvaient pas lui permettre d’anticiper que le navire ne pourrait pas éviter l’iceberg. Ce fut son erreur. Pour tous les capitaines à venir, cette expérience du Titanic est dans leur mémoire. Lorsqu’ils se trouveront dans des circonstances plus ou moins semblables, le processus de justification fera ressortir l’expérience du commandant du Titanic (même s’ils ne l’ont pas vécu personnellement).
Cette information fera partie de leur base de connaissance.

Tant que l’information n’est pas dans la base de connaissance, nous ne pouvons opposer aux situations nouvelles que des idées préconçues, des préjugés parce que nous n’avons pas le recul nécessaire pour voir au-delà de l’angle mort. Nous supputons en espérant le meilleur.
Paradoxalement, c’est aussi comme cela que nous apprenons. Parce que nous acceptons certaines choses comme des données issues de l’expérience que nous appliquons alors aux situations nouvelles, pouvons-nous commencer à entrevoir des compréhensions assez complexes en nous fondant sur ces données. Un peu comme le chercheur qui assemblera différents éléments pour en découvrir la réaction. Nous apprenons par tâtonnements.

Un peu aussi comme si nous avancions sans trop savoir où nous allons mais qu’à chaque pas, la destination se fait de plus en plus précise. Cette visibilité que nous acquerrons au fur et à mesure nous incite à changer les choses. Nous nous adaptons et nous sommes même motivés à faire l’effort de cette adaptation à la situation nouvelle.
Ce qui revient à dire que nous n’acceptons pas le choses. Il est pourtant plus facile de les accepter que de lutter contre elles. Cette facilité n’est pas mauvaise en soi. Parfois, il est préférable d’accepter les choses parce que c’est effectivement la solution au problème posé.

Mais cette facilité (du moins si l’on y succombe trop facilement) endort notre esprit à trouver une solution par lui-même. L’esprit critique, certes plus exténuant, est mieux que la soumission. L’esprit critique permet de gagner en autonomie.
La difficulté réside dans le fait que nous ne savons pas si maintenir fermement un point de vue sur les choses est la bonne approche ou bien si nous devons réexaminer complètement ce point de vue. En fait, nous n’avons aucun moyen de savoir immédiatement si nous prenons un problème correctement. Nous ne pourrons le savoir que lorsque les conséquences de nos actes nous permettront d’évaluer le résultat.

Pour Dramatica, Justification est un concept qui permet de justifier nos actes et donc ceux de nos personnages. Il faut comprendre aussi que nous ne remettons pas en cause nos justifications. Par exemple, nous sommes certains que 1 +1 est égale à deux. Si nous nous retrouvions dans une situation où cette évidence ne s’appliquait plus, si soudain 1 + 1 n’était plus égale à deux, nous ne questionnerions pas sa validité mais seulement sa pertinence à la situation actuelle.

Considérons maintenant que notre personnage principal n’est pas appelé à changer au cours de l’histoire. Cela suppose qu’il devra tenir bon avec ses justifications jusqu’à ce que leur application à la situation nouvelle lui apporte la solution au problème soulevé par ces circonstances particulières.
Dans le cas (et c’est ce que l’on rencontre le plus souvent en fiction) où le personnage principal doit changer, il doit alors abandonner ses convictions, ne plus tenir compte de ce qui lui permet de se justifier et de réexaminer comment il doit comprendre les choses désormais.

Une histoire ne fait rien d’autre que d’explorer la nature d’un problème en comparant ce que sont les choses et comment le personnage principal les voit ou aimerait les voir. C’est ainsi que le lecteur peut évaluer si la décision de changer ou non du personnage principal est un bon choix ou non. Donc Justification pour Dramatica n’est ni bonne ou mauvaise en soi. Elle décrit un état d’esprit qui tient l’expérience personnelle comme la connaissance absolue (ce qu’on peut assimiler à l’empirisme ou au pragmatisme) et parfois, c’est juste ce qui est nécessaire pour résoudre un problème et d’autres fois, c’est en fait la cause du problème.

Nous continuerons la revue des principaux concepts de Dramatica dans le prochain article.