Aux confluents des inspirations multiples et d’une originalité certaine est née « Devil Town » – web-série, cité alpha désenchantée, et surtout projet un peu fou d’une créature masquée (@critiquemasquee) et de son équipe. Entreprise fauchée et quelque peu rebelle d’un professionnel du métier en mal de changement face à des productions françaises toujours moins singulières, preuve d’une volonté farouche de vouloir sortir des sentiers battus tout en citant volontairement ou non des classiques du 7ème art hexagonal. « Alphaville » et Lemmy Caution côtoie la verve acide d’un Gabin ou d’un Ventura dans une atmosphère noire des années 50. On y pense, mais on observe surtout avec attention les scènes qui se jouent devant nous, ce curieux mélange qui gagne en substance entre les épisodes pour finalement se conclure avec classe, pertes et fracas.
C’est donc un univers qui fracasse, mais qui jacasse aussi et joue avec les mots de bien belle manière. Le premier épisode, sobrement intitulé « Une journée à D-Town », pose les bases – flic harboiled dans une cité rongée jusqu’à l’os par la misère, la corruption et toutes ces jolies choses qui font le sel de l’humanité ! Tourner de nuit coute cher, alors tant pis c’est en pleine lumière que le réalisateur choisit de montrer les parts d’ombre. Un film noir en plein jour qui jure par le parlé argotique de son personnage principal Flynn Cooper (excellent Pascal Lagrandeur) et l’univers qu’il développe, ni utopique, ni uchronique, juste différent du notre tout en lui ressemblant trait pour trait. Une société entre chiens et loups (nom donné à la monnaie locale) où les brebis n’ont pas leur place. On pense au Los Angeles de « Blade Runner », la pluie en moins et les espaces verts en plus. Sans trop dévoiler du scénario on dira seulement qu’il est question de prostituée disparu, de flics plus ou moins véreux et d’une bataille acharnées pour la mairie entre deux gugusses pas très nets.
Plusieurs années se sont écoulées entre le tournage des quatre épisodes et cela se ressent dans la direction artistique – les plans deviennent plus élaborés, l’étalonnage est retravaillé et le tout est à partir du deuxième épisode clairement comparable à un projet financé. De nouveaux protagonistes apparaissent et les relations se dessinent au fil d’un récit dont les contours s’affinent. Après la poursuite dans le train du premier opus on a droit dans le second à un combat en arène type gladiateurs modernes – résultante de multiples photos mises bout à bout et non d’une séquence filmée classique (pour des questions d’autorisations apparemment), et la scène rend terriblement bien, accompagnée par une musique (originale ) morriconesque de tous les diables.
La série est truffée d’idées similaires nées d’un manque de moyen mais qui insuffle finalement au programme une singularité propre, une vie certaine, une identité.
A retenir également la prestation hallucinée de « la gueule » Carmelo Carpenito (même le nom de cet acteur envoie du bois) en Baron – mafioso sans un poil sur le caillou et au visage buriné qui en impose.
« Devil Town », ou D-Town pour les intimes, force véritablement le respect. Pas exempt de petits défauts – parfois techniques dû au manque de moyen, parfois artistiques lors de certains dialogues ou directions d’acteur (principalement dans le premier épisode), le tout jouit d’une classe certaine et fait preuve d’un professionnalisme qui en impose. Le réalisateur et son équipe nous propose une plongée fascinante dans un univers en continuelle expansion qui fourmille de détails, d’histoires et d’existences qui ne demandent qu’à être raconter.
Le pari est réussi : sortir du lot en proposant un programme original, travaillé, à la fois singulier et pluriel, petit oasis de liberté dans le grand marasme de la production hexagonale. La Critique tombe le Masque et ça n’est pas pour nous déplaire !
Le lien vers les épisodes : https://www.youtube.com/watch?v=U4QZry3ApOo&list=PLhsbDciU6occG5aCqS_kqTVSWz7ADM7y6