Note d'introduction : J'ai écrit cet article il y a 4 mois, après avoir vu le film lors de sa sortie. Mais je ne l'ai pas publié, le trouvant un peu alambiqué, tiré par les cheveux. Et puis aussi peut-être parce que je n'ai pas vraiment assez confiance en moi pour parler de politique dans un article, ayant peur de dire des conneries. Il y a quelques semaines j'ai eu une discussion avec mon père, qui lui a beaucoup aimé le film. Petite mis en contexte : mon père est d'extrême gauche. Il est prof, souvent en grève (pas pour rien branler hein c'est toujours pour défendre les autres), il a passé des nuits dehors pour défendre les sans-abris et les immigrés, il fait souvent des manifs, des réunions, etc. Il est pour moi un exemple et un réel homme de gauche. Donc quand il m'a dit qu'il avait beaucoup aimé " Le Sens de la fête " alors que j'y avais vu un film de droite, j'ai été surpris et me suis posé des questions. Est-ce que ma vision du film était fausse ? Est-ce que mon père ne voyait pas ce que je voyais dans ce film car il ne regarde pas les films de la même manière que moi ? J'en ai donc discuté avec lui. Pour lui le film n'était rien d'autre qu'une comédie sans réel fond et surtout pas politique. Mais lui parler de ma vision du film lui a permis, je l'espère, de réaliser qu'un film n'est jamais innocent. Même sans le vouloir, un film propose toujours une vision de la société. Un film est toujours politique, même une comédie, même si tout est fait pour créer des gags plus que pour dire quelque chose. Bref, tout ça pour dire que cette conversation m'a fait réaliser que même si cet article propose une vision du film qui est peut-être fausse (en réalité je n'en sais rien) et de toute façon forcement biaisée par mes idées politiques, je pense qu'il a au moins le mérite d'en proposer une lecteur originale qui rappelle donc ceci : le cinéma est toujours politique, même si il ne le fait pas exprès.
Que raconte " Le Sens de la fête " ? Question bête, me direz-vous peut-être. " Le Sens de la fête ", écrit et réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache, suit durant le temps d'un jour et d'une nuit Max (interprété par Jean-Pierre Bacri) et son équipe, organisateurs de soirées. En l'occurrence, une fête de mariage située dans un château du 17ème siècle. Bien sûr, pour le plaisir des spectateurs, rien ne va bien se passer car nous sommes là dans une comédie. Le marié est un con, les employés s'engueulent entre eux, et quand ce n'est pas le cas ils font pour la plupart n'importe quoi. Tout cela suit un crescendo bien rodé vers le chaos jusqu'à ce que la situation explose. Pendant un numéro aérien réalisé par le marié, les deux employés chargés de retenir le ballon servant à la performance estiment qu'il est plus important de se déclarer leur amour que de faire leur job, et laissent ainsi le marié s'envoler vers des territoires inconnus. S'en suis une coupure de courant générale, puis un feu d'artifice plutôt effrayant qui fait s'enfuir en courant tous les convives : la soirée est foutue. Max réunis ses employés pour leur passer un bon savon puis s'exile. Mais à son retour, surprise : ses employés ont improvisés une soirée sauvetage dans le château, à base de musique jouée en live par l'équipe et d'éclairage à la bougie. Le public est ravie, Max n'en croit pas ses yeux et tout est bien qui finit bien. Fin de l'article.
Sauf que non. Qu'est-ce que cela dit ? Qu'au delà de la stupidité et de la désorganisation apparente de cette équipe, quand ils le veulent ils peuvent faire les choses bien. Qu'au fond ils ont bon cœur ces gens-là, mais que parfois ils se laissent emporter par leurs émotions et en oublient qu'ils sont là pour faire un job. Voilà là c'est vraiment la fin de l'article.
Non c'est encore faux (promis j'arrête cette mauvaise blague). Le film raconte bien plus que ça. Cela m'a frappé au moment où juste après les catastrophes en chaîne, Max engueule ses employés un par un pour leur reprocher leurs erreurs. Ce qu'il dit est très clair. Il dit qu'il a passé toute la journée a essayer de leur expliquer comment mieux faire leur travail, que personne ne l'a écouté et que le résultat est le désastre qu'ils ont tous devant les yeux. C'est le point de rupture du film. Avant cette scène, le ton du film est clairement comique. Les employés enchaînent les bourdes mais tout ça est rigolo. Mais là, ça devient sérieux. La lumière est sombre, Max est en colère et ni les personnages ni le public n'ont envie de rigoler. C'est là que j'ai compris qu'au-delà de la farce, le film a quelque chose à raconter, quelque chose qui me dérange. À la suite de cette scène, Max s'en va dans un coin de la propriété car il n'en peut plus. Il n'en peut plus de cette soirée, de ses employés et des problèmes de sa vie personnelle (cet aspect là ne m'intéresse pas ici). Le photographe de la soirée (interprété par Jean-Paul Rouve) le rejoint pour lui apporter une part de gâteau. S'en suit un petit moment émotion où Max avoue au photographe qu'il n'arrive plus vraiment à lui trouver de jobs et Rouve lui répond que son rêve était d'être grand reporter. Rouve invite Max à rejoindre le château et c'est là qu'il découvre que ses employées ont réussis à relancer la soirée.
Si je vous raconte ça c'est pour que vous voyiez bien le rapport entre la scène où Max engueule ses employés et celle où on se rend compte qu'ils ont sauvés la situation. De la façon dont se déroule le film, il y a un lien direct de cause à effet entre Max qui engueule ses employés et le fait qu'ils se sortent les doigts du cul. Ça parait con dit comme ça mais c'est important. Parce que ça veut dire que le schéma du film est le suivant : On constate que les employés de Max sont incompétents et n'écoutent pas les conseils de leur patron ► Max engueule ses employés pour les raisons pré-citées ► Les employées sauve la soirée de la catastrophe qu'ils avaient eux-même créés. Ce que raconte donc le film, c'est que tant que Max, un patron, ne met pas la pression à ses employés, ils sont inutiles. Et j'en fais peut-être des caisses, mais j'ai quand même l'impression que c'est un message assez particulier qui mérite d'être correctement compris.
Le mot clef du film, c'est l'adaptation. C'est ce que Max dit tout le long du film à ses employés. Adaptez-vous. Vous n'êtes pas d'accord pour porter des tenus de laquais ? Vous les portez ou vous êtes virés. Dans toutes les situations problématiques que rencontrent ses employés, c'est sa réponse: adaptez-vous. Bien sur, c'est toujours a l'employé de s'adapter au travail et pas l'inverse. Et dans une logique professionnelle, cela peut sembler cohérent. Mais quand cela devient une règle presque intouchable, ce qu'en fait le personnage de Max, c'est tout autre chose. Car partir du principe que c'est toujours à l'employé de s'adapter, c'est le réduire à un simple outil que l'on peut modeler à sa guise pour qu'il fasse ce que l'on souhaite. C'est oublier le facteur humain. C'est oublier qu'il y a des limites à l'adaptation. Prenons justement l'exemple des tenus que doivent porter les employés. Max pourrait faire le choix de les écouter et en discuter avec le client. Mais il n'essaye même pas. Car il part du principe que le client doit être satisfait à tout prix, même celui du bien-être de ses salariés. Ici ce n'est peut-être pas très grave, porter une tenue légèrement humiliante ne risque pas de faire beaucoup de mal à qui que ce soit. Mais le fait que Max ne se pose même pas la question tend à faire penser qu'il pourrait appliquer cette même règle de l'adaptation dans un cas plus grave.
En fait, je vois ce film comme un encouragement presque inconscient à suivre les penchants les plus dangereux du capitalisme. Toledano et Nakache ont, comme beaucoup, si bien internalisé la " loi du marché " qu'ils ne se rendent peut-être même pas compte que derrière les bons sentiments de leur film se cache une idéologie bien plus radicale. En montrant que pour bien faire leur travail, les employés ont besoin d'un déclic généré par la pression que leur met leur patron, ils veulent peut-être seulement dire qu'il arrive aux gens de faire des erreurs et qu'il faut parfois leur rappeler pour les aider à être meilleurs. Mais ils transmettent également l'idée sous-jacente que des employés ne sont pas efficaces tant que leur employeur n'est pas un peu violent avec eux. Et en disant que l'employé doit s'adapter aux situations qui se présentent à lui, ils veulent sûrement juste dire qu'un employé doit être flexible et polyvalent pour être bon dans ce qu'il fait. Mais il n'y a qu'un tout petit pas entre dire cela et oublier que chaque employé est un être humain qui a certaines limites. Dire que l'employé est censé s'adapter au monde du travail, c'est dire que ce n'est pas au monde du travail de s'adapter à l'employé.
La fin du film représente pour moi l'idéal de cette idée du capitalisme, ce à quoi devrait au final nous mener cette vision du monde du travail pour ceux qui pensent de cette façon. Dans la scène de fête finale, l'homme et l'employé ne font plus qu'un. L'employé joue parfaitement son rôle dans l'entreprise (assurer une soirée grandiose) et c'est naturel pour lui, il est heureux de le faire. Sauf que tout ça est un fantasme, ce qui est même suggéré par la mise en scène (la musique enchanteresse et le son hyper clean, la lumière chaude des bougies et la façon que Max a de rentrer dans cette salle, presque au ralenti). C'est une sorte d'utopie où les employés se serraient tellement adaptés à leur emploi qu'ils ne ferraient plus qu'un avec lui. Mais dans la réalité, engueuler ses employés ne mènent pas à ça. Cela mène à un management par la peur, ce qui à mon avis n'apporte pas grand chose de bon, ni pour les employés, ni pour l'entreprise.
Rajouter à cela une petite scène où Max dit qu'il est écrasé par les " charges " et on obtient, pour le dire simplement et un peu caricaturalement, un film de droite. Même si dans ce cas précis, on pourrait rétorquer que c'est seulement le personnage qui dit cela et non pas le film. Sauf que quand on nous montre que ce personnage sait ce qu'il fait, qu'il a toujours le dernier mot et toujours raison, la confusion peut être rapidement faite. Parce qu'une autre chose qui me pose problème dans le film vient du fait que le personnage de Max est mis sur un piédestal. Si je me souviens bien, on rit pendant tout le film de la bêtise des employés mais pas une seule fois du patron. Pourquoi pourrait-t-on rire de tout le monde, sauf du patron ? À part si ce n'est pour montrer que, d'une certaine manière (soit par sa place dans la société soit par sa place dans le récit), il est supérieur aux autres personnages du film.
Tout ça ce sont des choses qui se défendent, la preuve c'est ce que fait le film. On peut dire que le patron croule sous les " charges ". On peut dire que la patron a toujours raison. On peut dire que les employés sont stupides et ingérables. On peut dire que c'est à l'employé de s'adapter et pas à l'entreprise ou au monde du travail. Cela ne fait pas du film un mauvais film. Cela en fait seulement un film bien plus politisé qu'il n'y parait. Car pour moi, une des différences fondamentales entre la droite et la gauche est celle-ci : la gauche pense que c'est à la société de s'adapter aux être humains, tandis que la droite pense que c'est aux être humains de s'adapter à la société. Et il me semble assez clair que " Le Sens de la fête " se place dans la deuxième catégorie. Raconter une histoire, c'est donner une vision du monde. Que soit à travers une comédie qui utilise les problèmes de ses personnages pour faire des blagues n'y change rien. En montrant quelque chose, on dit toujours quelque chose, car on fait toujours un choix.