Dramatica : la théorie expliquée (98)

Par William Potillion @scenarmag

Nous traitons dans cet article de la dernière partie du chapitre 18 de la théorie narrative Dramatica.
Abordons donc le concept d’événements tels que les perçoit Dramatica.

Les événements

L’un des principaux aspects du modèle Dramatica est qu’il est récursif, capable de s’interroger lui-même de l’intérieur. Il est capable de représenter le cycle complet de la considération d’un problème.

La fiction dramatique est telle qu’au moment du dénouement, le lecteur en vient à reconsidérer le début. Dramatica se veut le reflet d’un tel mouvement. La moindre unité dramatique dans le modèle Dramatica se fond dans les unités structurelles qui l’englobe.

Avant de clore ce chapitre, voyons la notion de Storyweaving (qui vise la façon dont tous les éléments dramatiques d’une histoire se tissent ensemble afin de donner l’histoire justement) et examinons les concepts de temps et d’espace au sein de la théorie.

Nous avons parlé dans les articles précédents des concepts d’appréciations statiques et d’appréciations progressives.
Ces appréciations représentent la perception et l’interprétation par le lecteur à la fois des données fixes de l’histoire (comme par exemple le fait qu’elle se situe dans le monde de la finance ou bien encore l’affirmation par l’auteur que la nature humaine est foncièrement prédatrice et destructrice) et de ce qu’il se passe dans l’histoire, celle-ci s’inscrivant nécessairement dans les limites imposées d’une durée.

Ces appréciations bien qu’impliquant le lecteur sont voulues par l’auteur et intègrent la structure de l’histoire. Ainsi, la structure non seulement prévoit ces appréciations mais elle les façonne aussi.
Comme l’auteur doit trouver le moyen de fondre ces deux appréciations pour que tous les aspects de son histoire puissent se déployer, ce sera dans le Storyweaving que cela se produira. En somme, Storyweaving est la narration elle-même.

Nous avons vu que chaque ligne dramatique s’exprimait en quatre actes qualifiés de structurels (Signpost) et de trois actes dynamiques (ils représentent l’élan de la ligne dramatique) que Dramatica identifie comme des Journey.
On peut considérer que les 4 Signpost définissent les 3 Journey. Maintenant, il s’agit de tisser tout cela dans l’histoire. Il existe plusieurs façons de faire mais Dramatica propose sa méthode qu’elle juge plutôt efficace.

Il s’agit de ne plus considérer les Signpost et les Journey comme des actes mais comme des scènes. Des scènes spécifiquement destinées à lier les éléments dramatiques ensemble. Ainsi, puisqu’il y a 4 Signpost, 3 Journey et 4 lignes dramatiques, nous aboutissons à 28 scènes (4 Signpost + 3 Journey dans chaque ligne dramatique).
Ainsi, comme l’histoire s’articule autour des 4 lignes dramatiques, elle peut être explorée en 28 scènes (Dramatica les nomme Storyweaving Scenes).

Planifier son histoire est toujours un préalable très utile. Ainsi, si, pour chaque ligne dramatique,  nous écrivions chaque type de chaque Signpost sur une carte et que nous écrivions les types qui ouvrent et ferment un Journey, nous aurions 28 cartes au total (7 x 4). Chacune de ses cartes représente une Storyweaving Scene.

Si vous tentez de rendre concrète cette façon de faire, adoptez une couleur différente pour chaque ligne dramatique. Nous avons donc 28 scènes et chacune d’entre elles à une tâche à accomplir. Chacune d’entre elles doit manifester au lecteur l’appréciation qu’elle représente. Il ne reste plus qu’à compléter chaque carte avec ce qu’il doit se passer dans chaque scène (ou Storyweaving Scene).

C’est maintenant qu’il faut tisser les éléments entre eux, c’est-à-dire de déterminer l’ordre dans lequel ces 28 scènes seront proposées au lecteur. Le plus évident est de prende Signpost #1 suivi par Journey #1 lui-même suivi par Signpost #2, puis Journey #2 et ainsi de suite.

Mais une autre évidence s’impose aussi car les quatre lignes dramatiques sont censées se produire simultanément d’un point de vue structurel. En d’autres termes, les quatre Signpost #1 devraient se produire simultanément. Et à moins de diviser l’écran de cinéma en quatre parties égales montrant ce qu’il se passe dans chaque ligne dramatique, nous avons donc là un problème.

Si vous vous sentez inspiré, vous pourriez cependant parvenir à montrer avec un seul événement plusieurs points dramatiques (des morceaux de chaque ligne dramatique en un seul événement) mais cela peut s’avérer vraiment difficile.
Une approche plus pratique est la succession. Par exemple, chacun des Signpost #1 de chaque ligne dramatique se succède dans le temps. Quant à savoir lequel des SignPost (de quelle ligne dramatique) doit advenir en premier puis en second… est une question de goût personnel. La théorie n’exige rien en la matière.

Cette façon de faire est non seulement plus simple mais elle apporte aussi davantage de clarté dans la communication au lecteur. Celui-ci est l’interlocuteur privilégié de l’auteur et ce dernier doit faciliter la perception et l’interprétation de son histoire par le lecteur.

Et les quatre Journey # 1 ? de même, Dramatica ne conseille rien en la matière car cela n’a pas vraiment d’importance au niveau structurel. C’est donc totalement laissé à vos caprices créatifs. L’ordre néanmoins dans lequel apparaîtront les Signpost ou les Journey, même si cela n’affecte pas la structure de l’histoire, n’en a pas moins un effet sur le lecteur.

Car cet ordre intervient sur une notion importante : la première impression. C’est un fait de la psychologie humaine que la première impression a plus d’importance et d’influence que tout ce qui la suivra. Et l’auteur aura du mal à modifier (mais c’est possible) cette première impression dans l’esprit de son lecteur.
C’est aussi pour cette raison qu’il est préférable d’introduire auprès du lecteur le Signpost #1 du personnage principal plutôt que le Signpost #1 de l’Influence Character.

Parce que le lecteur se fixera une première impression sur l’Influence Character et s’accrochera à ce dernier (le confondant souvent avec le personnage principal). Et l’auteur aura du mal à le faire changer d’allégeance et s’il y parvient, ce ne sera que tard dans l’histoire (donc structurellement, un désastre).
Pour Dramatica, il ne fait aucun doute que si le tissage des éléments dramatiques de notre histoire (qu’on peut appeler aussi comme une distribution de l’information) a amené notre lecteur à croire que l’Influence Character est le personnage principal, nous aurons échouer à communiquer la réelle signification de notre histoire.

Donc nous pouvons ordonner tous les Signpost et Journey pour toutes nos lignes dramatiques jusqu’à ce que les 28 Storyweaving Scene soient montées en séquence (l’auteur d’un scénario est le premier monteur du film en puissance et ce, même si un auteur ne doit pas empiéter sur l’espace créatif du réalisateur et de son monteur [autres corps de métiers artistiques], l’auteur est tout de même responsable de ce premier montage qui doit toucher émotionnellement et raisonnablement [passion & entendement sont sollicités] son lecteur).

L’auteur est responsable de son message. Dramatica lui impose certaines exigences afin que ce message soit communiqué le plus efficacement possible auprès de son lecteur. Cela peut être assimilé à une contrainte par l’auteur.
Nous pouvons cependant rendre plus aimable la théorie car nous n’avons pas à exposer chaque Signpost puis chaque Journey puisque un Signpost et un Journey forment une paire qui montre  – la monstration est essentielle dans l’art scénaristique mais peut être traitée différemment dans d’autres moyens d’expression – un point de départ (soit de la ligne dramatique, soit de l’un de ces nœuds majeurs d’articulation) jusqu’à, soit un autre point majeur d’articulation, soit la conclusion de la ligne dramatique.

Le lecteur ressent chaque paire comme un acte (acte Un : Signpost  #1 / Journey     #1acte DeuxSignpost  #2 / Journey     #2acte TroisSignpost  #3 / Journey     #3.
Le lecteur ne fait pas la distinction entre Signpost et Journey mais  l’auteur, lui, doit en avoir conscience.

Donc tant qu’un Signpost donné précède le Journey  qui lui correspond, aucun ordre particulier n’est requis. C’est ainsi que l’ordonnancement de l’exposition peut se faire soit selon  une ligne dramatique particulière à la fois pour le Signpost et son Journey, soit sauter au Signpost d’une autre ligne dramatique après avoir exposé un Signpost  puis revenir au Journey du premier Signpost.

En adoptant une telle liberté d’écriture qui n’affecte pas l’efficacité du message, nous pouvons par exemple commencer avec le Signpost #1 et le Journey #1 de la ligne dramatique du personnage principal, puis exposé le Signpost #1 de l’Objective Story Throughline, puis le Signpost #1 de la ligne dramatique de l’Influence Character puis revenir au Journey #1 de l’Objective Story Throughline.
Ensuite le déploiement de l’histoire continue avec le Signpost #1 et Journey #1 de la Subjective Story Throughline (qui décrit la relation entre le personnage principal et l’Influence Character) et terminer avec le Journey #1 de l’Influence Character.

C’est ainsi que seront fusionnées les quatre lignes dramatiques d’une manière assez libérale tout en maintenant la puissance du message et que sera géré l’espace et le temps selon Dramatica.

Nous continuerons sur les événements dans le prochain article.