Par une maîtrise imparable de son sujet, Scott Cooper prouve que le western peut encore se renouveler.
Hostiles semble tomber à point nommé. Alors que Taylor Sheridan a récemment renouvelé le genre du western en l’ancrant par son écriture dans la réalité d’une Americana en décrépitude avec les superbes Comancheria et Wind River, Scott Cooper s’attelle lui aussi à interroger la disparition des figures d’une culture par ailleurs soutenue par le cinéma depuis ses débuts. Mais pour se faire, le réalisateur de Crazy Heart revient au film d’époque, au travers d’un manuscrit rédigé par le défunt scénariste Donald Stewart (notamment connu pour A la poursuite d’Octobre Rouge). Au même titre qu’Impitoyable ou True Grit, Hostiles se construit autour d’une post-modernité qui vient le frapper de plein fouet dès ses premières minutes. La porte d’une petite maison perdue au cœur de la nature a beau permettre un surcadrage rappelant celui ouvrant La Prisonnière du désert, Scott Cooper contamine immédiatement l’imaginaire du Far West par une violence crue, celle des balles dont les impacts rythment un montage sec et brutal. La mort frappe en une fraction de seconde, sans jamais laisser de répit à un spectateur qui doit accepter cette note d’intention.
Au milieu de ce chaos, le capitaine de cavalerie Joseph Blocker (incarné par un Christian Bale fascinant) se voit contraint d’accepter une mission d’escorte durant laquelle il doit accompagner un chef de guerre des Cheyennes du Nord (Wes Studi), prisonnier et mourant, vers sa terre natale. Le voyage va bien évidemment se construire sur la méfiance des deux ethnies, mais aussi sur la futilité d’un geste faussement humaniste, simple démarche publicitaire d’un gouvernement prêt à tout pour enfouir une violence ancrée dans les cœurs et dans la moindre parcelle de ces paysages magnifiques qui lui servent d’habitat. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Hostiles passe beaucoup de temps à filmer des enterrements, comme si les personnages plantaient leurs morts, tels les témoins d’une histoire méconnue et mal représentée qui finira par remonter à la surface. Le métrage se permet ainsi une rythmique virtuose, alternant la soudaineté fatidique de ses scènes d’action avec des instants de calme sublimes, où même l’horizon des plaines de l’Ouest ne peut empêcher ses protagonistes de se sentir enfermés dans un territoire qui a réduit leur vie à un cliché dénué de sens.
De cette façon, si le film se réfère aux codes inhérents du genre, il les abstrait avec brio dans une odyssée à la force mythologique bien plus large. Ce mouvement vers l’inconnu aux allures métaphysiques, soutenu par une photographie faisant régulièrement baigner les corps de ses acteurs dans une lumière naturelle de toute beauté, finit de transformer ses figures en silhouettes archétypales, en cow-boys et en Indiens tels que nous les schématisons enfants, pour mieux mettre en avant l’obsolescence de cette vision et de sa dichotomie. Hostiles joue au contraire sur le mal-être de personnages n’ayant pas choisi de devenir des monstres, quel que soit leur camp. Sans jamais porter de jugement, le film dépeint avec une rare puissance une haine semblant inextinguible, malgré les multiples tentatives de cette troupe pour la contenir. La mise en scène extrêmement pensée de Scott Cooper s’allie ainsi à une écriture soignée pour lier petit à petit ces hommes et femmes esseulés, en quête des traces d’une humanité qu’ils désespèrent de retrouver. Et face à une Amérique assumant son retour vers un conservatisme triomphant, Hostiles aurait pu prendre la forme d’un énième pensum lourdingue et indigné qui n’a rien d’autre à offrir. Certes, il se fonde en partie sur la démythification des figures du western, afin de rappeler la vérité sanglante de l’histoire (y compris sur la massacre des Amérindiens), quitte à parfois surligner son propos par des répliques un peu trop évidentes (voire anachroniques). Cependant, il est primordial de mettre en avant l’envie de Scott Cooper de proposer en premier lieu un vrai morceau de cinéma. Avec générosité, le réalisateur nous offre une œuvre prônant la mesure pour faire vivre des personnages que l’on ne peut ranger dans des cases ; une œuvre surprenante et percutante, qui hante autant que ce spectre de la mort omniprésent durant tout le voyage.
Réalisé par Scott Cooper, avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi…
Sortie le 14 mars 2018.