Radical, sauvage, émouvant, le nouveau film de Pascal Laugier est une véritable déflagration.
Couvert de prix au dernier festival de Gérardmer, Ghostland a fait l’effet d’une bombe auprès du public, un peu plus d’un mois avant sa sortie en salles. Quatrième long-métrage de Pascal Laugier, sans doute le plus effronté des cinéastes de genre français, le film arrive à point nommé pour bousculer le paysage des productions horrifiques actuelles, pris d’assaut par le pape du frisson bon marché, Jason Blum. Ici, comme à son habitude, Laugier prend à revers toutes nos attentes et malmène notre point de vue de spectateur. Tout commence avec une mère (Mylène Farmer, très convaincante) et ses deux filles qui emménagent dans la maison d’une tante décédée. Le soir de leur arrivée, deux psychopathes les agressent sauvagement à l’intérieur de la demeure. Des années plus tard, après avoir survécu toutes les trois à cette nuit de terreur, la fille aînée retourne voir sa mère et sa soeur, qui habitent toujours dans la maison où s’est produit le drame… mais le cauchemar est-il réellement fini ?
Ce qui frappe de prime abord, c’est la violence sèche avec laquelle Laugier broie ses personnages, féminins de surcroît. Pour autant, loin des accusations misogynes que le réalisateur continue d’essuyer à tort et à travers, Ghostland porte aux nues les femmes et leur incroyable courage face à l’adversité, sans amoindrir leur complexité. Derrière les cicatrices et les ecchymoses, ce sont de véritables héroïnes, jamais inutilement victimes, qui trouvent à un moment donné le moyen de se sauver. La grande réussite du film, qui était déjà celle de Martyrs et de The Secret, repose sur un virage à mi-parcours, méticuleusement prémédité, qui vient tout déconstruire, des enjeux du récit à la psychologie des personnages.
Le rapport qu’entretient la soeur aînée avec l’écriture cristallise tout le discours de Ghostland sur le pouvoir de l’imaginaire. En grande admiratrice des oeuvres de H.P. Lovecraft, elle aussi invente des histoires étranges, souvent sinistres. C’est là qu’intervient le jeu de manipulation, dans cette confusion du vrai et du faux, du bien et du mal. Une confusion d’autant plus prégnante que la réalité revêt progressivement les atours du conte. C’est la maison d’abord qui regorge de pièces cachées et de passages secrets. Ce sont les deux psychopathes ensuite, qui ressemblent respectivement à un ogre et une sorcière, et enfin les deux soeurs, métamorphosées en poupées pour le seul plaisir de leurs bourreaux. Toute cette esthétique confine à la pure fantasmagorie et brouille d’autant plus nos repères.
S’il n’évite pas quelques effets faciles, dont certains jumpscares, Laugier parvient néanmoins à créer de beaux moments d’émotion entre les personnages et notamment autour de celui de la mère, dont le statut évolue tout au long du film. Ses rares apparitions dans la seconde moitié apportent une ampleur tragique et lyrique insoupçonnée à l’intrigue, et en scellent par ailleurs l’ambiguïté, préservée jusque dans les dernières minutes, à la faveur d’un ultime échange. « Vous aimez le sport ?« , demande-t-on à la soeur aînée. « Non, pas vraiment. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires », répond-elle alors. Tout est dit et en même temps, tout reste à déchiffrer.
Réalisé par Pascal Laugier, avec Crystal Reed, Emilia Jones, Mylène Farmer…
Sortie le 14 mars 2018.