Le voyage intérieur du personnage

Par William Potillion @scenarmag

On dit souvent que la meilleure fiction est d’assister au changement profond d’un personnage. Entre le début et la fin de l’histoire, il devient quelqu’un d’autre comme l’égoïste qui découvre soudain que sa véritable vocation est l’altruisme.

Un auteur pourrait critiquer ce qui peut ressembler parfois à une loi à priori du succès d’un projet de scénario. Mais le lecteur s’attend à cette transformation et si le personnage principal reste inflexible dans ses déterminations telles qu’elles furent présentées lors de son exposition dès l’acte Un, il y a risque de frustrations.
On peut cependant montrer qu’il renforce encore plus son intention initiale à défaut d’un changement drastique.
Pourquoi le lecteur aime-t’il voir un personnage évolué (et généralement vers le bien) ? Peut-être pouvons-nous faire appel à la fonction mimétique de la nature humaine et espérer, par l’expérience interposée d’un personnage de fiction, être nous-mêmes transformés.

Un sentiment libérateur

Il peut être douloureux de quitter un mode de vie pour en embrasser un autre mais lorsque celui-ci résulte en des relations plus saines, plus riches ou bien lorsque d’autres domaines de la vie que nous valorisons emplissent notre quotidien, le sentiment libérateur que nous en éprouvons peut justifier notre volonté à changer, notre désir de vie.

Et c’est ce que nous recherchons dans une fiction. Voir un personnage changer pour le mieux, faire les bons choix et s’améliorer en tant qu’être humain est vivifiant. Il y a comme une élévation spirituelle à l’œuvre dans ce processus.

Quelle que soit la position d’un auteur sur le dualisme, on ne peut nier que si un personnage peut devenir meilleur, il peut aussi changer pour le pire. Une fiction offre cette possibilité narrative.
Bien mené, ces personnages tragiques sont fascinants. Anakin Skywalker dégénère en un méchant de l’histoire. Nous aimerions qu’il échappe à cette destinée mais une part de nous prend un plaisir certain à le voir ainsi se tourner vers le mal.

Un méchant qui s’assume

Peut-être que le plus fascinant des personnages est celui qui essaie d’être bon puis qui décide que sa véritable nature est mauvaise et qu’il doit l’assumer. Gollum en est un exemple.

Il existe aussi des héros qui ne sont pas appelés à changer. Indiana Jones ou James Bond sont simplement qui ils sont. Cependant, si les attributs qui les définissent au début de l’histoire ne s’avèrent pas problématiques (et qu’ils n’ont donc pas être thématisés par l’auteur), ce sont les personnages de leur entourage qui seront influencés par eux et qui seront transformés à leur contact.
Forrest Gump, Wall-E et Don Quichotte sont aussi des agents du changement d’autrui sans qu’eux-mêmes aient besoin de devenir autre. Pourquoi vouloir que quelqu’un se conforme à une conduite qu’on lui impose alors qu’il suffit de prendre conscience que nous avons besoin de devenir un peu comme cette personne.

Il est néanmoins toujours plus facile d’écrire sur un personnage qui change. Cela ne présume en rien s’il se tournera définitivement vers la lumière ou non, mais il suivra malgré tout un chemin qui changera sa personnalité.

L’arc dramatique

Les détails de la transformation d’un personnage sont comme un parcours intérieur. Et que ce soit un être fictif ou réel, l’intériorité est toujours d’une approche torturante.
L’évolution de celle-ci est toujours pénible et décrire ce voyage intérieur (Inner Journey dans la littérature anglo-saxonne) ne doit pas être une chose facile pour le personnage qui empruntera ce chemin.

Et parce que l’empathie du lecteur se porte naturellement sur le personnage principal, le lecteur sera préoccupé par ce qu’il lui arrive. Comment se sera formé sa personnalité, la classe sociale à laquelle il appartient, ses relations aux autres lorsque nous faisons sa connaissance, les événements majeurs de sa vie… toutes ces informations ressortent au passé du personnage.
Ce qui sera exploré dans l’histoire, ce ne sont pas les causes mais bien cette évolution qui fera de lui quelqu’un d’autre au dénouement.

Cette transformation progressive de la personnalité d’un personnage passe par 5 étapes :

  1. La condition initiale (la description du monde ordinaire du héros au début de l’histoire).
  2. Un incident déclencheur qui va initier cette mutation annoncée.
  3. Différents moments au cours de l’intrigue qui marqueront qu’effectivement une prise de conscience est en train de se préparer.
  4. La révélation, le moment de vérité (voir à ce sujet notre article sur la scène épiphanique).
  5. L’aboutissement de la métamorphose, ce qu’est dorénavant devenu le personnage.

L’idée de ces étapes est de permettre au lecteur de se saisir de la progression du personnage, de connaître où il se situe dans ce parcours qu’il chemine depuis le début de l’histoire, où il se positionne entre le nœud dramatique qui l’a lancé dans son aventure et le moment de la révélation.
En somme, il s’agit de la description d’une quête. Et cette quête à la recherche de soi sera légitime si nous pouvons assister à sa préparation, aux progrès réalisés tout au long de la quête et aux conséquences de celle-ci sans présumer de son issue.

Le nœud dramatique préalable

Quel est donc cet élément dramatique à partir duquel se tissera toute l’histoire ? C’est précisément ce qui ne va pas chez votre personnage principal (quelque chose en lui dont il n’a peut-être même pas conscience).

C’est sa faille, son grand défaut. C’est cette vie qui ne lui correspond pas et dans laquelle il s’est lui-même jeté. C’est cette thématique que l’histoire explorera en donnant à ce personnage l’opportunité de changer. Mais pourquoi doit-il changer ? Parce que ce problème intérieur fiche en l’air toute sa vie.
Maintenant, il est de la responsabilité de l’auteur de décider ce qu’il adviendra de son personnage principal. Il est le maître de sa destinée.

Car l’auteur connaît précisément ce qui ne va pas chez son personnage. Il sait à quel point cela le blesse. L’auteur a aussi les moyens de faire remonter ce défaut pour que son personnage en prenne conscience.
Souvent, l’auteur invente un personnage très spécifique qui aidera (ou plutôt forcera)  son personnage principal à faire face à son problème personnel (autrement, celui-ci aurait tendance à l’écarter d’un revers de la main).

Classiquement, l’auteur s’est tellement amouraché de son héros qu’il souhaite lui faire prendre la décision  d’être un être meilleur. Ce n’est cependant pas une nécessité. Le point de vue de l’auteur peut être pessimiste et il n’y a rien de mal avec cela.

Des difficultés salvatrices

Le personnage principal ne souhaite pas quitter son monde ordinaire dans lequel il ressent un confort apparent. Il ne veut pas que les choses changent. S’il vit une relation toxique, il n’aura pas le courage de faire table rase avec l’autre pour repartir sur des bases saines.
S’il ne cesse d’abandonner devant l’adversité ou bien ses rêves, s’il se complaît dans son amertume et malgré toute la douleur que ce statut quo lui donne, ce sera toujours moindre que la perspective de l’angoisse de s’engager dans une transmutation de sa personnalité.

Puisque vous êtes l’auteur, il est logique que vous n’allez pas laisser votre personnage principal dans sa soi-disant zone de confort. Vous rendrez de plus en plus difficile l’échappatoire de votre héros. Il ne pourra bientôt plus ignorer les décisions et les choix qu’il va devoir faire.
Pour le personnage et pour le lecteur, il faut montrer ou démontrer ce que sa vie pourrait être s’il essayait une voie alternative, s’il décidait de mettre un terme à ses habitudes de vie actuelles. Et pour cela, il va falloir mettre la pression sur le personnage. Ce sont les obstacles et les épreuves qui vont s’accumuler et qui progressivement lui permettront de prendre conscience de l’inanité de sa vie actuelle.

La progression de l’intrigue et à travers les tribulations, le personnage principal sera amené à son épiphanie, à son moment de vérité. La solution imparfaite qui réglait sa vie jusqu’à présent se révèle soudain pour laisser apparaître une autre solution bien plus lumineuse.
A son épiphanie, le personnage lèvera le voile qui obscurcissait son devenir. Mais il sera néanmoins à une croisée des chemins. Il lui faudra encore être capable de distinguer les alternatives qui lui sont proposées. Intérieurement, soit il reste ce qu’il croit être et il en souffrira les conséquences qu’il perçoit assez clairement maintenant ou bien il décide de payer le coût (prendre la décision de changer vient toujours avec un prix à payer) et il pourra alors bénéficier de véritables avantages en étant plus proche de sa véritable nature.

Un moment d’indécision

Toute l’histoire est suspendue à ce moment de vérité. On pourrait même penser que cet événement est la finalité de l’histoire. Nous retenons notre souffle dans l’attente de ce que va choisir de faire le personnage principal.

Cette décision pointe sur le thème de l’histoire. Et les conséquences de ce choix débouchent immédiatement sur le dénouement. La destination est ce moment de vérité. Et il y a un rapport de causalité évident entre cette destination et l’argument dramatique préalable, à savoir la faille dans la personnalité du héros. C’est ce problème personnel qui est vraiment à la fondation de l’histoire (en fait, le concept thématique auquel il renvoie, cette faille n’en étant que l’illustration).
En fin de compte, la majeure partie de l’histoire devrait être consacrée au parcours personnel du personnage principal.