Magnolia, drame choral américain de 1999, réalisé par Paul Thomas Anderson, avec Tom Cruise, Philip Seymour Hoffman, Julianne Moore et Jason Robards
ATTENTION : Cette critique contient des spoilers.
Chaque réalisateur passe, avec plus ou moins de réussite, l’étape de la confirmation. Ce moment où, après avoir fait un film qui a marqué les esprits, il doit prouver au monde que ce n’était pas un coup sans lendemain. Paul Thomas Anderson avait impressionné en 1997 avec Boogie Nights, c’était donc tout naturellement qu’il était attendu deux ans plus tard pour la sortie d’un film qui allait marqué sa filmographie, Magnolia.
Il semble intéressant d’appréhender Magnolia par sa bande-annonce. Evidemment, en 1999, Youtube et consorts n’existaient pas, et il fallait donc se déplacer dans les salles obscures pour voir ces bandesannonces (ce qui a donné, la même année, de sacrés phénomènes avant la sortie de La Menace Fantôme…). Celle de Magnolia, voulant certainement se démarquer du lot, était pas plutôt originale. Comment ? En nous présentant une flopée de personnages sans dévoiler de grandes lignes de l’intrigue, en disant que « tout cela prendra un sens à la fin » (la bande-annonce s’en amuse à la fin). Une manière finalement assez simple de susciter l’attente et de pousser le spectateur a vouloir en savoir plus. Piquant ainsi notre curiosité, c’est avec attention que l’on se presse devant le film pour connaître le contenu de cette fameuse fin.
C’est dès le début du film que Paul Thomas Anderson met en place son échiquier, en nous montrant trois histoires de destins liés. Dix minutes à peine dans ce film fleuve et déjà, nous avons la sensation que tout est lié, que nos vies sont minutieusement orchestrées suivant un grand livre et que l’on ne peut y déroger. De quoi attiser encore plus nos attentes avant d’ouvrir le chapitre principal concernant nos personnages… C’est ici toute la minutie de PTA qui s’offre à nous, ouvrant une lucarne sur ces nombreuses vies qui se déroule devant la caméra. Le chemin inéluctable arrivera au final à terme, répondant enfin à nos attentes, par une rocambolesque pluie de grenouilles qui s’abat sur nos personnages. Si, dans notre modèle nouveau de consommation de twist à outrance, on peut sembler déçu par cette fin qui n’offre rien d’absolument spectaculaire, il n’en reste pas moins que cette conclusion est, en plus d’être parfaitement raccord au reste du film, une conclusion habile et captivante de l’oeuvre.
Il semble déjà intéressant de revenir sur la symbolique de la pluie de grenouilles. Ce n’est pas sans nous rappeler un mythe biblique, avec l’une des dix plaies d’Egypte : le fléau des grenouilles (pour les plus curieux, dans l’Exode, à partir du chapitre 7, verset 25). La symbolique derrière cela ? Les impies sont punis par les cieux et doivent reconnaître leurs fautes pour que le fléau cesse. Les grenouilles sont donc la punition pour ceux qui se bornent et qui refusent d’admettre leurs erreurs et d’en tirer les conséquences. Or, en usant de cette symbolique, PTA transpose l’acte antique à l’époque contemporaine. En effet, pendant tout le film, la quasi-totalité des personnages campent sur leurs points de vue, points de vue centrés sur eux-mêmes desquels ils ne tirent aucune leçon. C’est donc en toute logique que « les cieux » les punissent pour leur permettre d’avancer dans la vie.
Mais peut-on simplement résumer Magnolia à une simple morale judéo-chrétienne ? Cela serait bien trop simpliste, tant le film brasse de nombreuses thématiques. L’une d’entre elles, il est intéressant de le voir, est la thématique de l’attente. Chaque personnage a un objectif et fait tout pour le réaliser, sans prendre en compte le monde qui les entoure, de la même manière que le spectateur, « teasé » par les prémices de l’oeuvre, n’attend que de voir une fin de long-métrage à la hauteur de ces attentes. Ce côté borné de ces derniers les amène indubitablement dans une impasse, celle où les rapports aux autres deviennent illusoires : c’est Tom Cruise, haineux de son père, qui ne voit pas qu’il souffre ; c’est Julianne Moore, plus préoccupée par sa propre souffrance que par celle de son mari ; c’est le père de Stanley, qui ne pense qu’à la victoire possible du fils et non du bien-être de sa progéniture.
Cela met en valeur un pan majeur de la filmographie de Paul Thomas Anderson, à savoir sa volonté de dépeindre avec la plus grande justesse la vie des hommes. L’humanité est ici exposé sans fard, ses défauts en plein jour. Car, même si les personnages semblent tout d’abord animer par la face qu’il montre à la communauté (c’est Tom Cruise, en gourou du sexe misogyne qui s’avère finalement être juste une personne ayant souffert de l’absence du père ; c’est le petit Stanley, petit génie de la télévision pour beaucoup, et qui n’arrive pas à s’épanouir car enfermé dans ce carcan), on découvre peu à peu que ces apparences s’effritent pour y révéler des personnalités bien plus complexes. Ce n’est d’ailleurs pas un détail si la grande majorité du film est filmé à hauteur d’homme et par de très longs plans, comme pour donner au spectateur la sensation de voir la vie se dérouler sous ses yeux. La caméra ne finira par s’élever véritablement que lorsque les cieux s’abattront sur eux et que les grenouilles tomberont du ciel, nous passer de spectateurs à moralisateurs.
Alors, peut-on penser que Magnolia est un simple film « à fin » ? Il ne serait que réducteur de penser cela. Paul Thomas Anderson joue des codes pour placer le spectateur au centre même de cet univers et pour le faire réfléchir sur la portée de ces actes. Si certains peuvent penser le destin comme la puissance supérieure qui semble régler de manière fatale les événements de la vie (comme dans la mythologie grecque et romaine), on peut y voir plus ici une forme de complaisance pour des êtres passifs qui échouent à se remettre convenablement en question et restent centrer sur leur propre personne. Il en profite aussi pour critiquer les spectateurs trop passifs, qui préfèrent consommer plutôt que de s’enrichir, en offrant une fin qu’ils attendent grandement en quelque chose de profond qui peut offrir une part de frustration. C’est bien là toute la magie du cinéma de Paul Thomas Anderson qui offre, en plus de l’évolution des personnages, des propositions d’améliorations humaines à son spectateur. Preuve encore une fois que l’on peut réfléchir devant un film et nous questionner sur notre humanité et sur notre rapport aux autres. Car finalement, ce que Magnolia nous montre, c’est que nous sommes chacun des pièces d’un immense puzzle, et qu’il n’appartient qu’à nous de moduler le destin qui agencent au quotidien les pièces de ce dernier.
Un grand merci à Cédric Lesaint pour son aide sur cet article.
Note
4.5/5
Paul Thomas Anderson signe avec Magnolia une oeuvre majeure qui vient confirmer tout le talent que l’on a pu lui observer précédemment. Oeuvre majeure sur les relations humaines, le film questionne le spectateur sur son rapport aux autres et ne le laisse pas sortir indemne du visionnage. Un grand moment de cinéma.
Bande-annonce :