Avec la sortie immanquable de Ready Player One, on devait bien consacrer un nouveau culte du dimanche à un film de Steven Spielberg. Et comme nous avons fait le tour de ses plus grands divertissements, autant nous pencher sur l’un de ses films qui a marqué une nouvelle étape dans sa carrière : La Couleur Pourpre.
Il se penche alors sur une adaptation du roman récompensé par le prix Pulitzer, La Couleur Pourpre d’Alice Walker. On y suit donc, au début du XXe siècle, la vie d’une femme noire dans le sud des Etats-Unis et ses déboires liés à sa fonction sociale presque inexistante, d’un père qui abusait d’elle à un mari violent en passant par un manque d’éducation.
La première héroïne féministe de Spielberg
Fille solitaire après avoir été presque revendue à un mari violent et éloignée de sa sœur, Celie s’inscrit complètement dans le registre des enfants perdus de Spielberg et il n’est donc pas étonnant de voir le réalisateur s’y intéresser. Pendant plus de deux heures, nous nous intéressons donc à cette fille meurtrie et qui doit grandir éloignée du monde, prisonnière de son statut qui la rabaisse sans cesse.
Cependant, il est plus étonnant que le réalisateur s’intéresse à un personnage féminin, lui qui a toujours été concentré sur des héros masculins. Non pas que les femmes soient reléguées à de la figuration (Marion et dans Indiana Jones ou la mère d’Eliott dans E.T. sont de vraies héroïnes), mais ce n’est pas une de ses habitudes. Et cette fois, non seulement il va étudier la progression de Celie mais il va l’entourer de femmes fortes comme la belle-sœur Sofia ou la chanteuse Shug, donnant alors un vrai pouvoir aux femmes face à des hommes qui ne sont que violence et n’avancent pas.
L’espoir avant la violence
Cependant, si le parcours de Celie est vraiment touchant, le réalisateur reste tout de même assez pudique sur les sévices qu’elle subit chaque jour. En effet, Spielberg, éternel optimiste et toujours rêveur, n’est pas ancré dans une phase de maturité où il peut filmer la violence dans tout ce qu’elle a de plus dur. On sent qu’il n’ose pas encore aborder la question et qu’il préfère s’intéresser à l’espoir (la quintessence même de tout le cinéma de Spielberg) permanent d’une vie meilleure. Un effet accentué par la photographie superbement travaillée et presque onirique d’Allen Daviau plutôt que par la musique sobre de Quincy Jones (l’une des rares infidélités du réalisateur à John Williams).
Avec une mise en scène toujours travaillée pour raconter son histoire sans s’ennuyer et surtout une excellente direction d’acteur, révélant Whoopi Goldberg et donnant des prestations les plus intenses de Danny Glover et Oprah Winfrey, la Couleur Pourpre est donc une première incursion intéressante de Spielberg dans le cinéma engagé et sérieux, commençant à aborder les thématiques d’injustice qu’il explorera de manière plus convaincante par la suite.
Un insuccès qui reste intéressant
Toutefois, cet essai ne sera pas forcément salué par tout le monde. Tout d’abord il est assez mal vu qu’un juif blanc porte ce film sur la condition de femmes noires, malgré toute la bonne volonté qu’il peut avoir. Et puis, il y a un véritable changement par rapport à l’entertainer qui a l’habitude de côtoyer le grand public et qui délivre ici un « film d’auteur » plus intimiste. Toutefois le film sera tout de même présent dans les grandes cérémonies et si il ne décrochera pas d’Oscar malgré ses 11 nominations, Whoopi Goldberg recevra tout de même un Golden Globe bien mérité pour lancer sa carrière.
Encore aujourd’hui assez peu mis en lumière, la Couleur Pourpre est donc intéressant pour découvrir comment est né le côté engagé du cinéma de Spielberg qui, même lorsqu’il est emprunt de défauts, reste toujours passionnant à suivre.