Les jeunes auteurs se demandent comment on devient scénariste, ce qui en soi n’est pas une mince affaire. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’il est plus difficile encore de le rester, tant ce métier requiert de la ténacité et… une sacrée dose d’autodérision. Voici les ouvrages qui m’ont permis de traverser bien des orages et crises existentielles, professionnellement parlant. 😉
Il y a quelques semaines, alors qu’ils préparaient le second anniversaire de leur podcast, Hadrien Krasker et Mathieu Bouckenhove m’ont demandé d’y présenter une dizaine d’ouvrages incontournables pour les scénaristes. J’ai accepté le chalenge, à condition de ne pas évoquer les livres qui m’ont appris à écrire, mais plutôt ceux qui m’ont soutenue par la suite.
Lors de l’enregistrement de l’émission, j’ai improvisé, mais je me suis dit qu’une version écrite et un poil plus structurée vous intéresserait sans doute. 😉
Cassavetes on Cassavetes de Ray Carnay traduit en France sous le simple titre John Cassavetes (éditions Lettmotif):
J’adore lire des biographies d’auteurs et de cinéastes, mais celui-là c’est vraiment mon bouquin de chevet. Ray Carney y raconte le grand cinéaste en s’appuyant sur les nombreuses interviewes de ce dernier. On y découvre un portrait sans compromis, à l’image de son sujet, en plongeant dans chacune de ses oeuvres, de sa genèse à sa promotion.
Artiste rebelle et ultra ambitieux, John Cassavetes ne laissait rien ni personne se mettre en travers de sa passion – quitte parfois à très mal se comporter avec ses collaborateurs. Il a choisi la voie de l’indépendance cinématographique alors qu’elle n’existait pas encore réellement aux USA.
Dans cet ouvrage génial, on découvre comment Cassavetes écrivait, ou plutôt dictait, ses scénarios. Comme beaucoup de cinéastes indépendants, il considérait le tournage comme une étape d’expérimentation et d’amélioration du scénario. Lui-même acteur de formation, il estimait que les comédiens apportent une connaissance instinctive du personnage, qu’ils nourrissent sa construction au-delà de la scène initiale. De la même manière, en étudiant les rushes au moment du montage, Cassavetes s’autorisait à explorer une construction, et une intention, radicalement différentes de celles qui étaient couchées sur le papier. Il disait écrire ses films « comme un sculpteur travaille la pierre ou un romancier son roman ».
Ca va peut-être vous sembler paradoxal qu’en tant que scénariste, je vante les mérites d’un cinéma qui désacralise le scénario à ce point. Mon lointain passé d’actrice et mon passage du côté obscur de la Force (à la réalisation quoi ^^) m’ont permis d’envisager l’écriture de film d’une façon plus globale que ne l’enseignent les théoriciens. Attention, je ne suis pas en train de militer pour les films écrits à l’arrache. Je pense simplement que le scénariste doit digérer le fait que son texte n’est qu’un outil de travail, un work in progress.
A contrario, les réalisateurs qui aiment expérimenter gagneraient à le faire main dans la main avec « leur » scénariste, en le conviant sur le tournage et en salle de montage lorsque nécessaire. Je dis ça je dis rien. 😉
Ecriture, mémoires d’un métier (On Writing: A Memoir of the Craft) de Stephen King:
Le classique parmi les classiques, la bible. Des mémoires publiées en 2000 dans lesquelles le grand maitre du suspense brosse un autoportrait intime à travers sa relation à la plume et nous livre quelques judicieuses recettes et exercices d’écriture. On y découvre son lien charnel à un art qui lui a littéralement sauvé la vie, dans tous les sens du terme. Comme maints confrères, je lui voue un véritable culte. Stephen King s’y livre avec générosité et humilité, dans une véritable optique de transmission de savoir, bref, cet ouvrage est juste in-con-tour-na-ble!
Peu d’auteurs sont aussi prolixes et passionnés par leur art, même après un demi-siècle de pratique quotidienne. Il a signé (et publié) ses premières œuvres aux portes de l’adolescence et n’a quasiment jamais passé depuis un jour sans s’asseoir à son bureau. Rien ne semble pouvoir venir à bout de son inspiration horrifique et galopante, ni la mort (il a échappé de justesse à un très grave accident il y a une quinzaine d’années), ni la cécité qui le menace (il souffre d’une dégénérescence de la rétine). S’il existe une manière d’écrire d’outre-tombe, il la trouvera à coup sûr!
Dans On writing, King confesse écrire dix pages par jour, trois cent soixante cinq jours par an. Il y dévoile tous ses rituels, comme le fait de travailler face au mur afin d’éviter tout élément de distraction. On sait également qu’il débute toujours sa journée de travail entre huit heures et huit heures trente. Il prend un thé et des vitamines et veille à ce que tout sur son bureau soit rangé selon une certaine configuration. Il a besoin de cette rigueur pour pouvoir écrire, il estime que cette organisation envoie à son inspiration « un signal de mise en route ».
Citation :
«Ecrire n’est pas une question de gagner du fric, devenir célèbre, avoir des rencards, pouvoir baiser, ou se faire des amis. Le but est d’enrichir l’existence de ceux qui lisent votre travail et d’enrichir votre propre vie. Il s’agit de se lever, d’aller bien et de surmonter. Il s’agit d’être heureux ok? D’être heureux. »
Le réflexe créatif (The creative habit) de Twyla Tharp. Editions La Bibliothèque Intérieure:
Ca c’est vraiment un bouquin qui m’a sauvé la peau, créativement parlant. Alors qu’en règle générale je n’aime pas ce qui touche au « développement personnel », on peut même dire que je suis allergique à ce genre de guides.
Mais celui-là m’a aidée à aborder un moment charnière de ma vie et de ma carrière, à raviver la flamme de l’écriture en préservant le plaisir, à faire plus confiance à mon intuition, à faire le tri dans mes relations, assumer mes ambitions et imposer mes choix, tout en harmonie. Une vraie thérapie en somme, mais en beaucoup moins cher. 😉
Je suis tombée dessus grâce aux Studios Pixar, et oui. Il fait partie d’une liste d’ouvrages qu’ils recommandent à tous leurs stagiaires.
Premier aspect qui m’a séduite dans cet ouvrage, c’est qu’il a été signé par une célèbre danseuse et chorégraphe, Twyla Tharp. Elle utilise sa discipline comme métaphore pour évoquer la créativité de manière universelle. Ayant pratiqué la danse à haute dose pendant quinze ans, son raisonnement me touche particulièrement, mais que cela ne rebute pas ceux d’entre vous qui font une allergie aux chaussons hein. ^^
Partant donc de son expérience personnelle, l’auteure explore les rites et méthodes de divers créateurs (auteurs, compositeurs, peintres, sculpteurs…) afin d’analyser leurs mécanismes communs, elle propose également au lecteur des exercices afin de développer sa propre routine créative, puis de l’améliorer.
Elle propose par exemple de rédiger son autobiographie créative, à partir d’un questionnaire très bien foutu. J’ai tenté l’exercice, un peu sceptique au départ, et je dois dire que j’ai été bluffée.
Au final, ce guide est une véritable bouffée d’oxygène, un travail de méditation sur son parcours personnel d’auteur, sur des mécanismes et routines qui gagneraient peut-être à évoluer. Writer’s block ou pas, rien de tel que de changer de décor, de sortir de sa zone de confort, de se lancer de nouveaux défis, pour rebooter la machine de façon profitable…
Moi par exemple, je l’ai lu au moment d’un gros déménagement et ça m’a permis de me détacher de mon antre d’écriture si j’ose dire. Je suis passée sans problème de seize mètres carrés de pièce dédiée à l’écriture à un petit coin de chambre. On peut même dire que ça m’a fait du bien. Et maintenant que j’ai à nouveau un vrai bureau, je l’apprécie sereinement sans mais fétichisme. 😉
Références :
Rendez-vous la semaine prochaine pour la seconde partie de cette bibliographie. 😉