Depuis plusieurs années, la Croisette est plutôt « chien ». En fait, depuis la création de la Palme Dog, alternative canine aux prix d’interprétation humaines du Festival de Cannes.
On soupçonne Matteo Garrone d’avoir réalisé Dogman uniquement pour pouvoir accompagner un de ses cabots jusqu’à cette précieuse récompense. Effectivement, les performances primables sont multiples dans ce long-métrage qui ne manque pas de chien : le bouledogue adepte des massages, le pitbull qui n’aime pas qu’on lui donne le bain ou ce chihuahua qui ne manquera pas de vous glacer le sang (si, si, vous verrez.. )
Mais il est possible que le film, plus centré sur la nature humaine que sur nos amis à quatre pattes, récolte d’autres prix plus prestigieux. On pense à un prix pour l’acteur Marcello Fonte et peut-être à une récompense pour Matteo Garrone, qui semble avoir ici retrouvé un peu d’inspiration et de style. (Lire notre critique)
Les chiens de Dogman doivent faire face à la rude concurrence des petites boules de poil de Diamantino, le film qui a été primé lors de la clôture de La Semaine de la Critique. Enfin, “petites”, c’est relatif. Ces chiens poilus apparaissent géants, entourés d’une brume de mousse rose bonbon, pour aider Diamantino, petit génie du football mais doté d’un Q.I. de puce, à réaliser ses dribbles insensés et marquer des buts acrobatiques de toute beauté. A la veille de la finale de la Coupe du Monde, il espère que les toutous seront au rendez-vous pour lui permettre de décrocher le Graal de tout footballeur. Le hic, c’est qu’il est hanté par d’autres images depuis qu’il a vu débarquer un canot plein de migrants venus d’Afrique, notamment une femme dévastée par la perte de son enfant, mort noyé lors de la traversée.
Le long-métrage de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt entrelace réalisme et fantaisie, passe d’un genre à l’autre – comédie, drame, anticipation, espionnage – avec beaucoup d’audace, et aborde, l’air de rien, de nombreuses questions en phase avec l’actualité – crise des migrants, montée du nationalisme et du souverainisme, dérives de la science, rejet des sexualités jugées déviantes…
On comprend que la Semaine de la Critique, véritable vivier de jeunes talents atypiques, ait primé cet objet filmique non-identifié, qui bouscule les codes et constitue une proposition de cinéma tout à fait intéressante.
Autres films primés dans cette section : Sauvage, dont l’acteur Félix Maritaud obtient le prix de la révélation Fondation Louis Roederer, Monsieur, de Rohena Gera, Prix de la Fondation GAN, et Woman at war de Benedikt Erlingsson, Prix SACD.
Tous ces cabots en poils et en os pourraient toutoutefois se faire détrôner par un chien de dessin animé comme celui de Miraï, ma petite soeur, de Mamoru Hosoda, un petit bijou, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.
Il est question des conséquences de l’arrivée d’un nourrisson, une petite fille, dans une famille japonaise citadine. Le papa, architecte, a décidé de devenir indépendant pour travailler à la maison et gérer, entre deux dossiers, tâches ménagères et biberons du bébé. La maman stresse car elle sait très bien ce qu’implique cet agenda chargé et doute de l’efficacité de son mari. Leur chien voit ses siestes perturbées par toute cette agitation. Mais le plus ennuyé par l’arrivée de ce bébé, c’est le premier enfant du foyer, Kun, qui passe du statut de fils unique, centre de l’attention de ses parents, choyé et surprotégé, à celui de grand frère, dont les besoins passent après ceux de sa petite soeur. Il voit bien que ses parents sont plus focalisés sur le bien-être de Miraï que sur le sien. Ils ne l’écoutent plus, ne jouent plus avec lui, s’énervent plus facilement quand il fait des bêtises. Si encore ce bébé pouvait jouer avec lui, cela pourrait passer. Mais il passe son temps à brailler et à dormir, c’est nul! Alors, Kun se rebelle, pique des colères qui ne font qu’agacer encore plus ses parents, trop fatigués pour supporter cette jalousie fraternelle. Alors, régulièrement, Kun se réfugie dans son imaginaire d’enfant et il y croise plusieurs figures présentes, passées et futures de l’histoire familiale, qui lui apprennent à relativiser sa situation, pas si catastrophique que cela, et à apprécier cette petite soeur dont il sera, avec le temps, inséparable.
C’est une chronique familiale toute simple, épurée et bouleversante comme un film d’Ozu, et truffées d’envolées poétiques dignes des films de Miyazaki, qui touchera probablement les jeunes parents, les grands enfants et tous les amateurs d’animation japonaise. En ce qui nous concerne, c’est l’un de nos grands coups de coeur du Festival de Cannes 2018.
La Palme Dog n’est pas la seule récompense animalière du Festival de Cannes. Peu le savent, mais les chats ont aussi leur « Cat Palm », la Palme de Whiskers. L’an dernier, c’est le chat d’Agnès Varda qui avait ronronné contre le trophée. Cette année, il pourrait tout à fait revenir au chat de Burning de Lee Chang-dong.
Le cinéaste coréen l’utilise comme un élément important de l’intrigue, un indice permettant au spectateur de démêler le vrai du faux et de résoudre une énigme qui se joue hors champ, prétexte à l’affrontement psychologique entre un jeune homme modeste, fils d’agriculteur, et un homme à peine plus âgé que lui, un yuppie aisé.
Là encore, le film de Lee Chang-dong pourrait aussi prétendre à d’autres trophées, y compris à la Palme d’Or, si le jury a été sensible à sa construction atypique, à lire entre les lignes, comme la nouvelle de Haruki Murakami dont le long-métrage est tiré. (Lire notre critique).
Alors, plutôt chat? Plutôt chien? Plutôt putois, poisson-zèbre ou écureuil volant? Plutôt pingouins de tapis rouge ou gazelles en robes de soirée? A vrai dire, peu importe, tant que les films nous transportent, nous font vibrer, nous font réfléchir aux problèmes du monde…
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.