Le nouveau film de Stéphane Brizé s’intéresse à la lutte d’un groupe de salariés essayant de défendre leurs emplois, alors que la direction vient de leur annoncer la fermeture de leur usine, située dans le sud-ouest de la France. Les délégués syndicaux sont furieux. Lors de précédentes négociations, ils avaient consenti à des efforts et des sacrifices en échange de la garantie d’emplois pérennes pour les cinq années à venir : Diminution des effectifs, durée du travail passée de 35h à 40h sans augmentation de salaire, renoncement aux primes,… Et aujourd’hui, le siège, en Allemagne, décide de s’asseoir sur ses promesses et fermer un site qui, selon eux, n’est pas compétitif. Comprenez plutôt, pas assez rentable pour des actionnaires qui, bien qu’ayant augmenté leurs dividendes de plus de 30% au cours des dernières années, en veulent toujours plus. Une usine délocalisée en Roumanie, cela correspond à des charges salariales revues à la baisse, et donc plus de profits. Et tant pis pour ceux qui, en perdant leur emploi, vont se retrouver en grande précarité.
Les employés de Perrin Industrie ne peuvent accepter cette mort lente qu’on leur réserve. Ils sont prêts à se battre jusqu’au bout, à l’image de Laurent Amadéo (Vincent Lindon). On les suit dans leurs démarches devant la justice – en vain, car on ne peut pas forcer une entreprise à exister, en dépit des accords signés –, devant les émissaires de l’Elysée – de grands moments de langue de bois – ou dans leurs nombreuses manifestations devant le Medef ou devant leur usine, dont ils sont déterminés à bloquer l’accès. Le cinéaste nous plonge directement dans ce bain de foule, nous fait ressentir physiquement, par sa mise en scène, le sentiment d’oppression ressenti par ces salariés. On les étouffe à petit feu, on les parque comme du bétail, leur refusant l’accès aux tables des négociations avec ceux qui ont le vrai pouvoir, économique.
Forcément, au bout d’un moment, certains craquent, baissent les bras, se disent qu’il vaut mieux se résigner et tenter de négocier une meilleure prime de licenciement, insuffisante pour vivre, mais “mieux que rien”. L’unité syndicale se craquèle, des luttes intestines se font jour alors qu’en face, la direction se montre inflexible, unie pour protéger ses intérêts. Laurent, lui, ne renonce pas. Il se battra jusqu’au bout pour ses valeurs, ses idées et sa dignité. Stéphane Brizé, bien aidé par Vincent Lindon, une fois de plus formidable, dresse le portrait d’un de ces héros ordinaires, qui se battent pour eux, mais surtout pour les autres. Laurent pourrait décider de se laisser vivre en attendant la retraite, maintenant que sa fille est adulte et que sa maison est payée, mais cette idée irait à l’encontre de ses valeurs, de son engagement social. Surtout, Laurent ne veut pas se résigner, ni plier l’échine devant ces puissants qui s’enrichissent sur le dos des plus humbles. Il refuse ce système ultra-libéral inhumain qui broie des êtres humains par millions. Si d’autres se battaient autant, peut-être les choses changeraient-elles…
Comme La Loi du marché, En guerre démonte les rouages d’une société à la dérive, où la majorité de la population doit se sacrifier pour le confort d’une poignée d’individus aisés, où le pouvoir politique est absent ou impuissant à changer les choses, où les perspectives d’avenir sont rares. C’est du grand cinéma social, dans la lignée des films de Ken Loach, mais encore plus âpre et désabusé.
Parmi les membres du jury, le très militant Robert Guédiguian a dû apprécier cette mise en exergue de la lutte sociale, mais ses acolytes auront-ils été aussi touchés par le combat de ces ouvriers, issus de milieux culturels très différents? Réponse le 19 mai prochain, lors de la cérémonie de clôture…