Asako I & II ne constitue pas un diptyque cinématographique. Il s’agit d’un seul et même film, par ailleurs composé de trois actes, qui s’intéresse à la fracture intérieure d’une jeune femme confrontées aux affres de l’amour.
La jeune et naïve Asako s’éprend d’un garçon complètement libre, vivant selon ses propres envies et propres règles. Au point de disparaître sans prévenir, du jour au lendemain, pour aller parcourir le monde. Perdue, trahie, abandonnée, Asako peine à s’en remettre et jure qu’on ne l’y reprendra plus. Et quand un homme, sosie physique de son ancien amant, mais au caractère opposé, fait irruption dans sa vie, elle se retrouve tourmentée par des questionnements existentiels, qui la mettent face à ses contradictions. Pour être heureuse, elle doit redéfinir ses priorités, comprendre ce dont elle a besoin dans la vie, effectuer une mue de Asako I vers Asako II.
Des enjeux à la fois très simples et très complexes, que Ryusuke Hamaguchi réussit à montrer parfaitement. (Lire notre critique).
Dans BlacKkKlansman, c’est volontairement que le personnage adopte une autre personnalité, radicalement opposée de la sienne. Le film de Spike Lee raconte l’histoire d’un policier Afro-américain qui, dans les années 1970, a réussi la gageure d’infiltrer le Ku Klux Klan en se faisant passer pour un Blanc raciste et antisémite. Il s’est même vu proposer de prendre des responsabilités au sein de l’organisation! Evidemment, quand les Konnards enkagoulés ont demandé à le rencontrer, il a du faire appel à une doublure. En l’occurrence son collègue, blanc de peau et de confession Juive, qui a du lui aussi jouer ce rôle de composition.
Voir les deux catégories de personnes haïes par le KKK prendre leur revanche en les embobinant, empêchant en même temps un attentat criminel, est assez réjouissant. Tout comme il est réjouissant de constater que Spike Lee n’est pas totalement perdu pour le cinéma, après une série de longs-métrages insipides. (Lire notre critique).
On peut aussi apprécier le retour de Lars Von Trier sur la Croisette avec The House that Jack built, le portrait glaçant d’un tueur en série mettant en scène ses crimes pour en faire ses oeuvres d’art. Le cinéaste en fait une sorte d’alter-égo, de double maléfique. Avec ce film, volontairement malsain et provocateur, Lars Von Trier semble s’adresser à tous ses détracteurs, ceux qui l’ont taxé de misogynie, accusé de prendre un plaisir sadique à maltraiter ses personnages – et ses actrices par la même occasion, ceux qui ont fustigé le caractère violent et sexuel de ses oeuvres, ceux qui ont dénoncé sa fascination pour le Mal, et notamment pour le régime nazi. Il leur réexplique le principe du cinéma et de l’art en général : essayer de décrypter le monde, y compris dans ce qu’il a de plus sombre, de plus pervers, provoquer des réactions chez celui qui va la découvrir, pour le forcer à s’interroger sur des sujets essentiels, faire passer des messages moraux… Non, Lars Von Trier ne partage pas l’idéologie nazie. Il n’est ni xénophobe, ni misogyne. A la rigueur un brin misanthrope. Et assurément fasciné par le Mal, sous toutes ses formes, et terrorisé par l’Enfer, dont il livre ici sa représentation personnelle. Dante Alighieri l’a fait aussi, et personne ne remet plus en cause sa démarche artistique, pas plus que les critiques d’art ne s’offusquent des fresques représentant des scènes de massacres ou de viols peintes par de grands maîtres…
A travers le parcours criminel de Jack, il réexplore l’ensemble de son oeuvre et en donne toutes les clés de compréhension. C’est à la fois ce qui fait la force et la limite de ce nouveau film. Certes, ce retour aux sources de son cinéma occasionne des scènes absolument magistrales, parmi les plus mémorables de ce festival, mais le côté didactique – “Lars Von Trier pour les nuls” – nous empêche aussi de nous abandonner totalement à ce film-fleuve.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.