[Cannes 2018] Jour 6 : Génies incontestés et losers magnifiques

Cannes 2018 carré 2Après un début de festival ensoleillé, la pluie a fait son apparition sur la Croisette. Dans les files d’attentes, stars et cinéphiles tentent de s’abriter des gouttes sous un coin de parapluie. Il serait dommage de ruiner des robes de soirées somptueuses et des smokings élégants à cause d’une averse, juste avant de monter les fameuses marches cannoises… Tout le monde se presse pour entrer dans le Grand Théâtre Lumière et se mettre au sec devant, euh… Le Grand bain ?!?

Le Grand Bain, c’est le titre du long-métrage de Gilles Lellouche, présenté hors-compétition. Un feel-good movie sympathique dans lequel une belle assemblée de stars masculines (Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hughes Anglade,…) incarne un groupe de losers magnifiques se lance le défi de remporter le championnat de natation synchronisée masculine. Personne ne miserait un kopek sur ces quadragénaires/quinquagénaires dépressifs, bedonnants, aux crânes dégarnis et aux muscles atrophiés, sauf leur coach (Virginie Efira), une ancienne gloire de la natation n’ayant pas bu que la tasse à la fin de sa carrière, mais finalement, ils vont réussir à devenir une véritable équipe de vainqueurs, en s’épaulant les uns les autres et en reprenant confiance en leurs capacités. Les festivaliers n’auraient peut être pas misé non plus sur Gilles Lellouche avant de découvrir avec plaisir les tribulations de ces drôles de nageurs, aux performances plus proches de The Full Monty que des ballets aquatiques d’Esther Williams dans Le Bal des sirènes. (Lire notre critique)

Si, pour les spectateurs, faire trempette dans cette joli comédie a constitué une expérience rafraîchissante, ils ont nagé en plein bonheur avec Une affaire de famille, qui constitue la quintessence du cinéma de Hirokazu Kore-Eda. Ce nouveau long-métrage entrelace toutes ses thématiques habituelles au coeur d’un récit qui passe de la chronique intimiste au drame, pour mieux mettre en exergue la force des liens unissant les personnages, tout aussi abîmés que les héros du Grand bain. Ce sont des gens modestes, des ouvriers, des laquais, des retraités, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et sont obligés de commettre de petits larcins, de fomenter de petites magouilles ou de louer leurs charmes pour arrondir les fins de mois. Ils sont un peu à l’étroit dans leur minuscule maison, mais ils ont au moins un toit. Dans ce foyer malgré tout accueillant, chacun peut s’appuyer sur les autres, et y trouver un peu d’amour et de chaleur humaine. Cette profonde humanité, cette poésie du quotidien, a toujours été la grande force du cinéma de Kore-Eda, de Nobody knows à Après la tempête, en passant par Still walking. Une affaire de famille est sensiblement du même calibre que ce dernier. Un très bon film, donc. (Lire notre critique)

Hop! Plongeons dans la section Un Certain Regard, le petit bassin de la sélection officielle. Là, c’est un bain de sang qu’on pris les spectateurs de Meurs, Monstre, Meurs d’Alejandro Fadel. Il y est en effet question d’un tueur en série qui décapite les femmes, dans une région reculée de la Cordillère des Andes, à la frontière entre l’Argentine et le Chili. Un suspect est très vite arrêté et envoyé en hôpital psychiatrique, mais Cruz, l’officier de police rurale chargé de l’enquête, est persuadé qu’ils font fausse route. Avec ses méthodes d’investigation atypiques, reposant sur des croquis, des calculs géométriques, des visions impliquant un groupe de motards et une voix intérieure obsédante, il en vient à la conclusion que le tueur n’est pas un homme, mais une créature monstrueuse, au look, euh… plutôt singulier, qui n’a pas encore épanché sa soif de sang….
Ce long-métrage évoque un peu La Région sauvage pour la forte connotation sexuelle du monstre du titre, mais aussi le Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur, pour son ambiance et la façon de retarder l’apparition du monstre. Il fait aussi beaucoup penser à la série Twin Peaks, tant au niveau des paysages que des personnages. Evidemment, Fadel n’est pas David Lynch, et son film n’évolue pas tout à fait dans les mêmes sommets cinématographiques. Cependant, il parvient à installer une ambiance singulière, angoissante et fantastique, que n’aurait pas reniée H.P. Lovecraft. On peut juste trouver dommage que le propos  reste assez abscons, car avouons-le, on ne comprend pas tous les tenants et aboutissants de cette oeuvre “monstrueuse”. On peut y voir une réflexion sur l’aliénation mentale, la culture de la peur dans une région ayant connu les dictatures chiliennes et argentine, mais rien de vraiment clair ne se dégage du récit.

Les premiers spectateurs de 2001, Odyssée de l’espace ont-ils été aussi perplexes face aux questions métaphysiques posées par le chef d’oeuvre de Stanley Kubrick, il y a cinquante ans ? Difficile à dire. Mais ils avaient certainement été aussi époustouflés que nous face à la virtuosité technique de l’oeuvre, sa mise en scène géniale, totalement novatrice et audacieuse, son côté visionnaire. Encore aujourd’hui, le film impressionne par son ampleur. Les festivaliers ont pu s’en convaincre lors d’une projection du film présenté dans une copie 70 mm tirée à partir du négatif original, en présence de Katharina Kubrick, la fille du cinéaste, de son collaborateur Jan Harlan et de l’acteur principal, Keir Dullea. Cette belle projection sera assurément l’un des moments forts de la sélection Cannes Classics, voire de ce 71ème Festival.

Apparemment, certains festivaliers parlent aussi de génie à propos de Gaspar Noé, qui semble avoir enthousiasmé les spectateurs de la Quinzaine des Réalisateurs avec son nouveau long-métrage, Climax.
Nous attendrons de voir le film avant de partager ces avis dithyrambiques, mais il est vrai que le réalisateur de Love et Enter the void propose toujours des oeuvres hors normes, faisant évoluer l’art cinématographique.

A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.