[Cannes 2018] Jour 4 : Je t’aime, moi non plus

Par Boustoune

Décidément, ce 71ème Festival de Cannes est celui des amours impossibles…
Résumons un peu… Depuis mardi, nous avons découvert le déchirant secret de Laura et Paco dans Everybody knows, suivi la naissance d’un amour interdit entre Kena et Ziki dans Rafiki, assisté à la déliquescence d’un couple dans Wildlife, vu une relation passionnelle stoppée nette à cause du SIDA dans Plaire, aimer et courir vite, observé des garçons essayer de piéger leurs petites amies et en subir les conséquences dans A genoux les gars et nous avons compris que le contexte de la guerre froide n’était guère propice à la passion amoureuse…
Aujourd’hui, nous découvrons que la Chine, même convertie au libéralisme économique, ne constitue pas non plus l’écrin idéal pour une belle romance. Pourtant, l’héroïne des Eternels, Qiao (Zhang Tao) est “in the mood for love” pendant une bonne partie du récit, mais elle n’arrive jamais à garder auprès d’elle son amant, Bing (Liao Fan), qui s’avère aussi versatile et changeant que le contexte économique de son pays. Pas de doute, on est bien dans un film de Jia Zhang-Ke. Comme à son habitude, le cinéaste chinois construit une trame narrative qui lui permet de développer ses thématiques habituelles – conséquences de la mutation économique et sociale de la Chine, sacrifice de la classe ouvrière au profit des cols blancs, opposition entre villes et campagnes chinoises… Il signe là une oeuvre sublime, amère et nostalgique, qui ne  ferait pas tache au palmarès. (Lire notre critique).

L’amour entre le Festival de Cannes et Jean-Luc Godard n’est pas impossible, lui. Mais il est compliqué, tourmenté, tumultueux… Déjà parce que les premières amours du cinéaste suisse ont été la Berlinale (où A bout de souffle, Alphaville et Une femme est une femme ont été primés) et la Mostra de Venise (où il a présenté Pierrot le fou, La Chinoise et quelques autres). Puis parce qu’il a participé à la révolution de palais de mai 1968, qui a conduit à l’annulation du Festival de Cannes cette année-là. Il a été plus fidèle à la Croisette durant les années 1980, où il a présenté cinq de ses films, sans jamais remporter le moindre prix. Depuis qu’il s’est de nouveau tourné vers un cinéma plus expérimental, il a été invité à plusieurs reprises, mais ne se déplace plus jusqu’au tapis rouge cannois. En 2010, il avait invoqué un “problème de type grec” pour justifier son absence.
Cette fois-ci, quelle excuse a-t-il trouvé? Un problème de type syrien? Toujours est-il qu’il n’était pas présent sur la Croisette pour la présentation de son Livre d’image. En même temps, on peut le comprendre, car l’accueil a été pour le moins mitigé. Si ses fans inconditionnels ont crié au génie, ses détracteurs, ainsi qu’une bonne partie du grand public, ont détesté ce nouveau long-métrage, assez radical sur la forme. En effet, il s’agit d’un objet filmique non-identifié, composé d’extraits de films, d’images d’actualités, de photos d’oeuvre d’art, de répliques, de sons, de lectures de textes et d’aphorismes dont seul JLG a le secret, qui s’interroge sur l’état du monde et l’éternel recommencement des erreurs du passé. Non, ce n’est pas ce film qui va lui valoir l’affection indéfectible du public cannois, pas plus d’ailleurs, que celle des média, après la conférence de presse surréaliste qu’il a donnée… via Facetime! Une façon curieuse de communiquer pour un film atypique, il fallait oser… Mais c’est aussi pour cela, paradoxalement, qu’on aime ce cinéaste à part, provocateur et iconoclaste. (Lire notre critique)

A demain pour la suite de nos chroniques cannoises.