Kena (Samantha Mugatsia), une jeune femme de 18 ans, a tout du garçon manqué. Elle fait du skate, joue au football et traîne plus volontiers avec les copains du quartier qu’avec les autres filles. Pourtant, elle finit par se lier d’amitié avec Zyki (Sheila Munyeva). Leurs pères respectifs sont rivaux pour une élection locale, mais plutôt que de suivre le même chemin que leurs parents et se haïr cordialement, elles décident de devenir complices et de passer plus de temps ensemble. A mesure que les deux jeunes femmes apprennent à se connaître, elles réalisent que leur attirance mutuelle dépasse le simple cadre amical…
A la lecture du scénario de Rafiki, on pourrait se dire qu’il s’agit d’un de ces récits initiatiques classiques, dans lequel deux jeunes femmes découvrent leur homosexualité et doivent lutter contre les préjugés de leur entourage pour tenter de vivre leur amour sereinement. C’est un peu cela, mais le film de Wanuri Kahiu se distingue par son contexte géographique. En effet, cette histoire se déroule à Nairobi, au Kenya, un pays où l’homosexualité reste taboue et illégale, même dans les grandes villes. Les homosexuel(le)s s’exposent à des sanctions ou pire, un lynchage en règle de la part d’une population hostile à toute forme de différence sexuelle. Le film réussit bien à décrire les tourments de ces deux jeunes femmes, profondément amoureuses l’une de l’autre, mais obligées de cacher leurs sentiments pour ne pas être rejetées par leurs familles ou subir le mépris, voire l’agressivité, des habitants du quartier.
Le sujet est tellement sensible que le simple fait de l’évoquer peut aussi poser problème. Accusée par certains esprits rétrogrades de faire l’apologie du lesbianisme, la cinéaste Wanuri Kahiu, risque d’ailleurs la prison à son retour au pays. Le film avait pourtant été dûment validé par les autorités et la commission de censure, mais son refus de condamner les amours “contre-nature” de ses protagonistes principales lui vaut les foudres du gouvernement, qui a d’ores et déjà interdit le film de sortie en salles au Kenya et fait tout son possible pour la punir de son audace.
On ne peut que saluer le choix politique fort du Festival de Cannes, qui a présenté Rafiki dans la section “Un Certain Regard”pour lui offrir une visibilité internationale maximale. C’est sa façon de défendre le travail d’artistes courageux et opiniâtres contre les censeurs et les obscurantistes. C’est aussi un signe supplémentaire de son investissement dans la lutte contre les violences faites aux femmes, plus que jamais d’actualité.
Mais la sélection de Rafiki n’est pas que politique. Le film séduit aussi par la fraîcheur de la mise en scène de Wanuri Kahiu, moderne et rythmée. Certes, on peut y trouver des maladresses, de petites erreurs de jeunesse, mais le résultat est tout à fait correct si l’on prend en compte les difficultés rencontrées par les cinéastes africains pour produire et réaliser leurs films.
Le film a aussi le mérite de nous faire découvrir deux jeunes actrices kényanes épatantes de naturel et de spontanéité, Samantha Mugatsia et Sheila Munyeva.
Une fois n’est pas coutume, la section parallèle officielle du Festival de Cannes remplit pleinement sa mission : présenter des oeuvres d’autres horizons, en phase avec les préoccupations contemporaines, défendre des artistes en péril et mettre de jeunes talents prometteurs sous le feu des projecteurs.