Attendu avec des torches et des fourches, le nouveau spin-off de la saga Star Wars mérite-t-il la méfiance du public ?
Malgré sa production houleuse, voir Solo – A Star Wars Story présenté au Festival de Cannes une semaine avant sa sortie semblait présager d’une certaine confiance de la part de Disney envers ce projet pourtant décrié pour sa nature (mettre en images les origines de l’un des personnages les plus populaires de la saga) et ses décisions créatives (le renvoi de Phil Lord et Chris Miller à la réalisation au profit de l’artisan efficace mais impersonnel Ron Howard). Et à ce titre, ce nouveau spin-off souffre, comme on pouvait s’y attendre, de ce qu’on serait tenté d’appeler le « syndrome Ant-Man ». L’embryon des créateurs de La Grande Aventure Lego persiste par instants, mettant d’autant plus en avant au détour d’un beau plan ou d’une blague réussie l’aspect lisse et uniformisé de l’ensemble. Il est clair que Solo a été amputé de certaines de ses envies, au vu du manque d’évolution d’une galerie de personnages au demeurant très soignée et équilibrée (comme sur Rogue One, on craquera pour le droïde féminin L3-37, géniale partisane des droits des robots). Leurs interactions, qui devraient construire la figure mythologique de Han Solo, se retrouvent perdus au sein d’une intrigue kidnappant le récit, alignant sans retenue les péripéties pour un résultat certes divertissant, mais au final assez vain. On peut y voir une volonté de revenir à la légèreté du premier Star Wars et à ses inspirations de la culture pulp, mêlant divers types d’imaginaire pour entretenir l’universalité d’un parcours héroïque tel que l’avait envisagé Joseph Campbell. Pour autant, Ron Howard a beau piocher dans le western, le film de gangsters, voire même l’horreur cosmique lovecraftienne, il peine à fluidifier le tout, et ce malgré la cohérence de la direction artistique et le rafraîchissement apporté par la photographie de Bradford Young.
Solo se présente alors comme un ensemble de vignettes trop scindées entre elles, pour engendrer un quelconque effet dramatique (la mort de certains personnages paraît sans importance dès la scène suivante), agencement maladroit contraint à des passages obligés déjà évoqués par les précédents films. Et il s’agit du plus gros bémol du projet : contrairement à Rogue One, qui avait tout à créer à partir d’une seule phrase provenant du générique introductif d’Un nouvel espoir, Solo dépend d’un hors-champ déjà existant, répliques et situations de l’univers qui ont permis de créer l’aura du protagoniste. Star Wars a toujours su construire le gigantisme de son monde par la suggestion, la promesse d’un horizon immense au-delà du cadre. Dès lors, ce spin-off ne peut qu’annihiler cette puissance, surtout lorsque la mise en scène peu inventive de Ron Howard se révèle incapable d’iconiser des scènes longtemps fantasmées dans l’esprit des fans (la rencontre entre Han et Chewbacca, l’obtention du Faucon Millenium, le raid de Kessel réalisé en 12 parsecs).
Pire encore, la démarche pousse les exécutifs de Lucasfilm à donner des réponses à des questions que l’on n’a jamais voulu se poser, au point d’ailleurs de se révéler incohérent en ce qui concerne la construction psychologique du héros. Selon les écrits de Campbell, Han représente l’allié du personnage principal, le non-croyant sans idéaux qui va apprendre à en retrouver. Ici, au-delà de transposer ce modèle sur le personnage de Woody Harrelson, mentor supposé du jeune Solo dont ce dernier apprend peu, le film passe son temps à anticiper un arc narratif qui ne s’accomplit que dans Le Retour du Jedi. Il est d’ailleurs d’autant plus choquant qu’un tel anachronisme soit en partie dû à l’écriture de Lawrence Kasdan, ayant officié au scénario de L’Empire contre-attaque. Il faut donc croire que la présence des fondateurs de Star Wars sur des projets comme ce Solo n’empêche pas la dégénérescence de la saga vers une banalisation de son univers, illustrée par une réalisation délaissant les effets de style de ses modèles, et ne cherchant même pas à en créer de nouveaux. Cela ne fait pas du long-métrage un produit totalement honteux, et l’ensemble parvient même à certains instants à donner quelques frissons de plaisir (souvent épaulés par la partition très réussie de John Powell). Cependant, difficile de voir en cette Star Wars Story autre chose qu’un blockbuster de plus en plus calibré sur la concurrence, l’empêchant de marquer les esprits.
Réalisé par Ron Howard, avec Alden Ehrenreich, Woody Harrelson, Emilia Clarke…
Sortie le 23 mai 2018.