Une site d’incidents va finalement révéler la supercherie et mettre un terme à cet esclavage moderne.
Il est assez difficile de dater l’époque à laquelle se déroule la première moitié du film. Vu les conditions de vie précaires de ces paysans, qui ont à peine l’électricité et l’eau courante, on pense aux années 1950, celles des derniers feux du néoréalisme, de Umberto D., de Miracle à Milan, ou aux années 1970, celles d’Affreux, sales et méchants. Mais on est plus probablement dans les années 1980, après l’abolition des accords de métayage italiens. La seconde partie, en revanche, est assurément contemporaine, même si les conditions de vie dans lesquelles vivent les anciens paysans de L’Inviolata sont toujours aussi précaires. Même leurs anciens bourreaux vivent dans la misère, à leur tour exploités par une nouvelle forme de pouvoir, les banquiers.
Pauvre Lazzaro qui ne se réveille, tel le Lazare biblique, que pour constater les mêmes peines et les mêmes souffrances, et, en prime, un rejet de la différence, de la bonté et de la beauté…
Alice Rohrwacher signe une fable sociale corrosive sur la nature humaine, la soif de pouvoir et la cupidité. Elle se place du côté des petites gens, des marginaux qui essaient de subsister avec trois fois rien, loin du regard des riches, cloîtrés dans leurs tours de verre et d’acier, mais proche de celui, méprisant, des classes moyennes, qui ont peur de se retrouver prochainement dans cette situation.
Elle retrouve ainsi l’ADN du grand cinéma italien, des chefs d’oeuvres de De Sica, Rosselini, Visconti ou des premiers Fellini.
Mais en ajoutant une dimension mystique au récit, la cinéaste perd un peu en intensité ce qu’elle gagne en poésie. Le choix d’articuler le récit autour de l’amitié “fraternelle” entre Lazzaro et le fils de la marquise, Tancredi, n’est pas non plus une très bonne idée, car elle relègue au second plan des personnages sans doute plus intéressants et plus à même de servir le propos du film.
Ceci n’altère heureusement pas la puissance globale de l’oeuvre. Heureux comme Lazzaro est une très belle surprise de ce cru cannois 2018. Il confirme en tout cas le talent d’Alice Rohrwacher, qui en trois films, même imparfaits, a réussi à se créer un univers singulier, entre réalisme cru et douceur poétique.