On écrit beaucoup gratuitement quand on veut devenir scénariste, car il faut bien faire ses preuves. Puis on débute une carrière, elle prend son essor… et on passe sa vie à courir après l’argent qu’on nous doit… 😉
Quand on devient scénariste, notre entourage nous rappelle à l’envie que ce n’est pas un vrai métier, c’est vrai ça, d’ailleurs, combien ça gagne par mois, un(e) scénariste, ma bonne dame?
Mais ce n’est pas ça qui va décourager une si belle vocation, donc le/la wannabe s’acharne, et s’entend dire par « le métier », à juste titre, que pour décrocher du boulot en tant qu’auteur(e), il faut avoir des textes à faire lire. Grosse problématique donc: comment produire les textes en question (= consacrer ses journées à l’écriture), tout en payant ses factures? Ce n’est pas pour vous décourager, mais il faut ramer une bonne dizaine d’années avant d’espérer mettre un vrai pied dans la profession.
Puis arrive enfin le jour béni où l’on vend un premier texte, puis deux, on reçoit ses premières commandes, on trouve un agent, les projets voient le jour, ce qui permet de revoir ses contrats à la hausse. Mais bizarrement l’argent reste souvent virtuel…
C’est sûr que dans l’absolu, le montant dévolu à un scénario, surtout au cinéma, peut sembler conséquent. Sauf que d’une part, nous sommes payés en step-deals (une dizaine d’échéances qui correspondent aux diverses étapes d’écriture du scénario), si un projet s’arrête en route, on garde les sommes déjà payées mais on peut s’asseoir sur la suite. D’autre part, et c’est bien plus grave, tous les producteurs ne sont pas des gentlemen.
Contractuellement, les remises de textes sont prévues à telles et telles dates. Autant vous dire que si le/la scénariste ne rend pas sa copie à temps, les conséquences sont graves. Contractuellement aussi, les paiements doivent être acquittés par la société de production à remise du texte, et acceptation (quand il y a des modifs à y apporter).
Tout est prévu quoi, c’est-y pas génial? Sauf que beaucoup de producteurs ne jouent pas le jeu. Moi par exemple, j’attends un de mes virements depuis… six semaines! Le service compta de mon agent a relancé déjà trois fois la prod (comme à chaque échéance d’ailleurs). Je n’ai aucun doute sur le fait que je recevrai mon dû, mais en attendant, j’ai des factures à payer, un enfant à charge, un emprunt à rembourser, des impôts et cotisations professionnelles à acquitter. Il m’arrive même de manger de temps à autres. Oui, je sais bien, quelle idée! 😉
N’allez pas croire que ces producteurs « mauvais payeurs » soient mal intentionnés, loin s’en faut. C’est juste que l’argent est mieux sur leur compte, où il « travaille » que sur le nôtre. Et puis parfois, ils oublient, tout simplement de lancer le paiement, parce qu’ils ont d’autres choses, bien plus importantes, en tête. Ca en dit beaucoup sur leur manque de considération pour notre travail, eux qui touchent en général un salaire, et ça c’est plus grave encore que l’argent en tant que tel.
Je dis quoi à mes créanciers, « vous inquiétez pas, là je peux pas vous payer mais contractuellement, je suis plutôt bien rémunérée, cette année, et l’année prochaine, je vous raconte même pas combien je peux espérer, ding-ding-ding jackpot! »? Et mon agent, elle bosse juste pour l’amour de l’art?
Et encore, les scénaristes sont bien mieux lotis que les romanciers. Quand on a de la bouteille dans ce métier, on peut prévoir ses arrières. On bosse sur plusieurs films/fictions TV à la fois. On met de côté à chaque gros chèque. S’ajoutent à cela quelques options et droits de diffusion. N’empêche que c’est quoi ce bordel? Vous en connaissez beaucoup, vous, des boulots où on est rémunéré(e) en argent virtuel? Et je ne parle pas de bitcoins hein. 😉
Certain(e)s auteur(s) à ce petit jeu, perdent leurs droits Agessa, paient des agios monumentaux à leurs banques et passent maintes nuits sans sommeil. Ils/elles perdent confiance en leur talent, et leur engouement pour le projet sur lequel ils/elles sont engagés(e). Moi la seule chose que je perds pour l’instant, c’est ma patience et ma bonne humeur légendaires. C’est déjà beaucoup trop. 🙂
Chers confrères et consoeurs, nous avons des moyens à notre disposition, et ne les utilisons jamais ou presque, de peur de (rayez la mention inutile): passer pour un(e) chieur/se, être viré(e) à l’étape suivante du contrat, se voir blacklisté(e). C’est précisément parce que nous manquons d’assurance, qu’on nous fait croire interchangeables, que nous osons rarement dénoncer nos contrats, voire tout simplement poser « nos crayons » tant que l’étape précédente n’est pas payée.
N’acceptons plus cette espèce de chantage affectif selon lequel on risque de retarder, voire compromettre, la mise en production du film. Concrètement, si une société de production ne trouve pas les fonds pour financer l’écriture (à peine 2% du budget d’un film, en France), le film n’est pas prêt de voir le jour.
Certains producteurs n’ont pas d’argent pour financer l’écriture dignement, et sont transparents à ce sujet. Des arrangements sont possibles, contractuellement parlant (paiements différés, intéressement sur les recettes etc). Tant que le deal est limpide, écrit noir sur blanc, et convient aux deux parties, il n’y a pas de problème. Mais quand des engagements sont pris et signés, ils doivent être respectés par les deux parties, point. C’est bien beau de râler sur les conditions de travail des scénaristes français, mais ça ne sert à rien, si ce n’est pas suivi de faits. Si nous voulons que l’écriture soit enfin considérée comme un vrai métier, nous devons, nous auteur(e)s la traiter comme tel. Et parfois, pour cela, il faut savoir dire stop.
Pour réussir dans le métier de scénariste, il faut notamment aimer sa pratique, et se faire confiance. Pour cela, il faut garder le sourire, et un sacré sens de l’humour, mais il faut aussi se monter ferme, de temps à autre… 🙂
Sur ces bonnes paroles, je retourne bosser sur le long-métrage produit par un sacré gentleman, le coeur en fête. 😉
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