Cannes organise sa première séance de minuit autour d’un survival tendu et glacial.
Le postulat d’Arctic est on ne peut plus simple : un homme apprend à survivre en plein cœur du désert arctique depuis le crash de son avion. Et pour un premier long-métrage, il faut saluer le talent de Joe Penna, qui croit suffisamment à son concept et au genre qu’il investit pour l’épurer au maximum, là où d’autres se seraient sentis obligés de le boursoufler avec une symbolique prémâchée. Par ailleurs, à l’heure où les survivals de récente mémoire ont pu porter des tentatives de cinéma extrêmement ambitieuses, voire révolutionnaires (Gravity, The Revenant), Arctic fait preuve d’une retenue bienvenue, ne cherchant pas la folie des grandeurs pour au contraire accentuer la simplicité de son dispositif, et de sa réalité. Un corps interagit avec un milieu hostile, piégé dans une solitude démesurée, amenant une acceptation immédiate de l’impuissance de l’être humain face à des éléments qui le dépassent. Joe Penna déploie notamment avec beaucoup de minutie des champs-contrechamps magnifiques, où le regard magnétique de Mads Mikkelsen est rendu admiratif de la nature et de sa dimension sublime, comme dans une peinture de Caspar Friedrich.
Cette volonté de retour aux sources de la grammaire cinématographique s’accompagne alors d’une écriture volontairement codifiée, que d’aucuns jugeront maladroite par ses ficelles visibles (certains set-up/pay-off se révèlent assez basiques, tout en restant très efficaces). Pourtant, Joe Penna fait le choix courageux de souligner le tracé de son scénario, telle une ligne qui se fend en deux à chaque décision que doit prendre son personnage, dont la moralité se retrouve constamment défiée. Nous sommes dès lors contraints d’envisager les alternatives, les conséquences qu’auraient pu engendrer des choix différents, ainsi que ceux que nous aurions nous-mêmes fait à la place du protagoniste. Cette seule remise en question de nos dogmes sociétaux dans un contexte de crise suffit déjà à faire d’Arctic un film de survie réussi, mais il gagne encore en profondeur en comparaison à certains de ses modèles. En effet, Joe Penna offre particulièrement à travers son long-métrage l’une des plus belles réponses à Gravity. L’espace, lieu définitif de l’absence de vie, qu’Alfonso Cuarón dépeignait par des outils numériques, permet à l’humain de revenir à son essence, de comprendre autant ce qu’il est que ce qu’il n’est pas, avant de vouloir retrouver la simplicité d’un monde physique qu’il avait oublier. Dans Arctic, Mads Mikkelsen est confronté à ce monde physique, mais celui-ci le rejette, à travers une biosphère à laquelle il ne peut s’adapter. Vu d’un sol immaculé comme de l’espace, la Terre est le centre de tout. Elle attire le point de vue de la caméra, contrairement à l’être humain, toujours ramené à elle par la pesanteur. Il est voué à l’humilité, aussi bien face aux éléments qu’à l’absence d’éléments, les deux lui étant mortels. En s’interrogeant sur cette vérité générale, Arctic ne marquera certes pas autant que ses références. Néanmoins, sa quête de modestie, qui s’exprime dans sa diégèse et dans sa fabrication, en fait un film hautement maîtrisé et rafraîchissant.
Réalisé par Joe Penna, avec Mads Mikkelsen, Maria Thelma Smáradóttir…
Sortie le 5 décembre 2018.