Voyage en terre inconnue #3 – Swiss Army Man (2016)

Par Ciné Maccro

Swiss Army Man, comédie dramatique américaine de 2016, réalisé par Daniels, avec Paul Dano et Daniel Radcliffe

Bienvenue dans Voyage en terre inconnue, la chronique qui revient sur des films inconnus (ou presque) en France ! Aujourd’hui, pour le troisième volet, on se retrouve avec un film pas forcément si inconnu, qui n’a malheureusement pas eu la chance de sortir chez nous en France, ce qui ne l’a quand même pas empêché de faire son trou dans la communauté cinéphile. Alors que sa sortie dans l’Hexagone est prévue pour dans quelques jours, il était temps pour nous d’évoquer, vous l’aurez compris, Swiss Army Man !

ATTENTION : Cette critique contient des spoilers.

Vous est-il déjà arrivé d’attendre un film pour une raison, et de prendre une énorme claque lorsque vous vous rendez compte au visionnage que le film s’avère aux antipodes de ce à quoi vous vous attendiez ? Swiss Army Man rentre dans cette catégorie à mes yeux, tant les premiers abords d’une comédie puérile après le visionnage de la bande-annonce ne pouvait laisser deviner toute la diversité et la profondeur des émotions que le film nous propose. Essayons d’y voir plus clair et de comprendre ensemble pourquoi Swiss Army Man s’avère comme une (très) grande oeuvre de cinéma.

Dès l’entame, le film joue avec la notion d’absurde, celle d’un homme isolé sur une île se retrouve « sauvé » de la pendaison par un cadavre atteint d’aérophagie qui échoue sur la plage. Dès ce postulat de départ qui paraît stupide, les Daniels révèlent leur intention pour le long-métrage : surfer entre le rationnel et une forme de surnaturel tout en gardant une simplicité biologique, marquant ainsi une forme de décalage faisant réagir le spectateur. Si nous sommes d’abord surpris par le côté pétomane de Daniel Radcliffe, amusés par l’échappée de l’île, on comprend assez vite que ce n’est pas qu’un ressort comique. Pendant une bonne partie du film, tel un enfant devenant adulte, c’est Hank (Paul Dano), dépourvu d’un père à la hauteur de ses attentes, qui va éduquer Manny, en commençant par le pet et l’expression (difficile) de prénom, jusqu’à l’idée d’un âge plus adolescent avec la découverte de la sexualité et de l’amour, permettant ainsi au spectateur de prendre en affection nos deux protagonistes tout en suivant leur développement.

Au début du film, Hank s’interroge d’ailleurs sur le fait qu’au chevet de la mort, il ne voit pas sa vie défiler devant ses yeux. Pourtant, c’est bien une vie assez proche de la sienne que Manny semble découvrir tout le long de cette éducation. C’est après avoir réalisé ce développement de Manny que l’on peut se demander si Hank s’était réellement pendu au début, et que tout ce qui suit devant nos yeux n’était en fait que l’illusion d’une agonie ? C’est tout du moins ce que laisse penser les réalisateurs pendant une bonne partie du film, au travers de la traversée d’une forêt qui z’étire au point de sembler interminable. Plus qu’un râle, le film se révèle finalement être plutôt du ressort de l’introspection où la figure extérieure, grave, de Hank croise une forme de « Ça » freudien, d’inconscient sans limites, Manny, qui va finalement vivre pleinement les rêves qu’Hank (le « Moi ») se refuse par peur. Si au début tout semble les opposer, le rapprochement s’opère au fur et à mesure par cet amour qui les unit et qui finira par les faire entrer en une forme de symbiose, qui démontrera dans le dernier acte tout l’intérêt de la mesure dans nos vies.

Développant peu à peu une forme de jalousie, Hank va vouloir devenir Manny et finira par se heurter brutalement à la réalité. De manière finalement subtile dans une scène d’une grande puissance, on assiste à une inversion des rôles : Hank, désormais immobile, se laisse porter, déplacer par un Manny qui désormais a le contrôle, et semble être le meneur au sortir de la forêt mentale. Mais face à la réalité du monde auquel il se trouvait en marge, Hank (ou Manny, comme l’appelle dans un premier temps la journaliste) sombre dans une forme de folie, refusant d’abandonner cet inconscient qui lui offrait une forme de bonheur qu’il ne trouvait pas ailleurs, et retourne finalement là où il préfère vivre, cette forêt qui désormais paraît si petite, entraînant au fond de son cerveau ces gens extérieurs qui ne le comprenaient pas. S’en suivra une scène déchirante où Hank prend la décision qui semble finalement être la meilleure pour lui, lui permettant de vivre en harmonie avec lui-même dans un monde qui l’a si souvent rejeté. Dès lors, quel message porte le film ? Celui d’un message raisonné, qui balaye les personnalités moulés par la société, une ode à la création et à l’imagination tout en imposant la nécessité que celle-ci soit mesurée. En effet, plus qu’une pamphlet à l’expansion du « Ca », les Daniels nous prévienne des dangers de celui-ci, et nous propose au contraire un idéal d’équilibre de nos émotions, une expression contrôlée entre volontés de la société (le « Surmoi » du film, les trois instances de la personnalité sont donc réunies) et désir personnel.

En résumé, Swiss Army Man n’est pas une simple comédie pétomane mais une ode à l’humanité, puissante et déchirante, menée par une mise en scène inventive qui ne cesse de surprendre le spectateur par sa virtuosité, et par le duo Paul Dano/Daniel Radcliffe absolument dantesque scène après scène. Véritable surprise, énorme coup de coeur, Swiss Army Man est un film qui doit être vu, tant par le plaisir de visionnage qu’il suscite que par la véritable réflexion sur l’homme qu’il propose, car c’est pour ce genre de moment que le cinéma a été créé.


Note 

5/5

Plus qu’une simple comédie déjantée, Swiss Army Man s’impose comme une oeuvre psychanalytique complexe, porté par une mise en scène virtuose et un duo d’acteurs parfait. Véritable plaisir de visionnage et outil de réflexion sur notre manière de vivre, le film est une énorme claque cinématographique qui pousse à le voir et à le revoir encore et encore.


Bande-annonce :