La famille Parr revient en fanfare dans une suite fantastique et inespérée. LE film de l’été !
Il est souvent peu recommandé pour un critique d’utiliser la première personne. Mais au vu de la place importante des Indestructibles dans ma vie, et du ressenti très particulier que j’ai eu devant sa suite, je vais pour une fois faire une exception. Et pour débuter, il est intéressant d’évoquer, avant même la réussite du film, celle du court-métrage Bao, présenté en première partie. Parce qu’au-delà d’être l’une des propositions de cinéma les plus bouleversantes que vous verrez cette année, le film s’affirme comme un condensé de tout le génie de Pixar, telle une (re)mise en bouche pour nous rappeler les grandes heures du studio avant la suite de son chef-d’œuvre définitif. Découpage parfait, absence de dialogues, jeu avec les possibilités de l’animation (notamment dans la forme donnée aux corps, fortement symbolique) : l’efficacité du projet de Domee Shi renoue avec l’inventivité folle d’un Toy Story et l’émotion brute d’un Là-Haut ou d’un Wall-E. Autant vous dire qu’il m’a été difficile de ne pas déverser des hectolitres de larmes face à cette femme chinoise éprise d’un jeune ravioli qui prend soudainement vie, métaphore de l’enfant qu’elle a perdu à force de le surprotéger.
Bao est une histoire de regrets, marquée par la pureté d’un langage cinématographique qui parvient à traduire à l’écran l’amour d’une mère à travers l’un des intermédiaires de cet amour : la cuisine. En seulement quelques minutes, les équipes de Pixar ont su adapter à merveille la notion de « madeleine de Proust », avec toute la mélancolie qu’elle sous-tend. L’effet est d’autant plus dévastateur qu’il s’agit du sentiment premier que de nombreux spectateurs – moi compris – attendaient de la part d’un film qu’ils désirent voir depuis quatorze ans.
Mais étonnamment, une fois passé le plaisir immense d’entendre à nouveau la musique de Michael Giacchino, Les Indestructibles 2 n’a pas réellement provoqué chez moi un torrent de nostalgie, si bien que l’incertitude de mes émotions en est venue à interroger la qualité du métrage à mi-parcours, avant que je ne repense à Bao. La madeleine est belle et rassurante. Cependant, elle peut vite se transformer en piège, en pattern trop parfait qui en vient à reproduire le erreurs du passé. La madeleine ne fait pas avancer. Elle perpétue juste un amour perdu. Dès lors, il semble évident que l’incroyable Brad Bird a eu conscience de ce piège, et a cherché à tout prix à le fuir, ce qui est encore plus dur lorsque son film débute juste après la fin du premier volet. Les Indestructibles 2 ne s’assure pas la complicité évidente de son audience, et choisit au contraire de prendre le risque de tout réinitialiser, tel un lavage de cerveau littéralement illustré dans sa première séquence. Nous devons réapprendre à aimer la famille Parr, à concevoir leurs nouveaux doutes et arcs narratifs qui les transforment durablement, sans pour autant qu’ils n’aient jamais vraiment changé.
A travers ce génial paradoxe, on peut comprendre que Brad Bird a insufflé tout son savoir-faire et surtout toute son exigence pour offrir une suite digne de ce nom, quitte à ce que l’ensemble m’ait légèrement décontenancé en cours de route. En réalité, Les Indestructibles 2 se permet, tous comme ses personnages en perpétuelle crise identitaire, un recentrage, une interrogation sur la nature même du comic-book movie, alors que les deux opus ont encadré le succès exponentiel et de plus en plus taylorisé du genre (Les Indestructibles sortait la même année que Spider-Man 2, tandis que ce deuxième chapitre suit Infinity War). Le cinéaste n’est d’ailleurs pas toujours tendre, mettant en scène avec son méchant l’Hypnotiseur la facilité avec laquelle sont abordés les super-héros comme catharsis réconfortante. Et il semble qu’au premier abord, c’était ce que je recherchais, avant que Brad Bird n’affiche la tristesse de l’automatisme qui régit ces corps sur-humains bouffés par l’industrie. Or, le film ne parle que de cela : d’une libération de la personnalité à travers la chair et ses capacités, en particulier dans le cas d’Elastic-Girl, soutenue par un mécène pour redorer le blason des super-héros, mais qui va devoir se façonner en dehors des arguments marketing qui ont valu sa sélection (n’est-ce pas Wonder Woman ?).
Néanmoins, s’il se montre alarmiste sur l’état actuel de la pop-culture, le réalisateur affirme que les super-héros n’ont pas à être ces pantins désarticulés à la solde des studios, et se révèle même assez centriste grâce au personnage de Winston Deavor, instigateur du retour d’Elastic-Girl, et métaphore évidente d’un producteur exécutif, dont la bêtise et le goût pour le succès n’a pourtant d’égal que son idéalisme à propos de ces mythes modernes. Dès lors, Les Indestructibles 2 se déchaîne, exploite chaque pouvoir dans une logique jusqu’au-boutiste absolument démente (la séquence de poursuite entre Elastic-Girl et un train est sans conteste l’une des meilleures scènes d’action de récente mémoire), et combine les facultés de ses protagonistes afin de nous surprendre avec n’importe quelle possibilité. C’est d’ailleurs pour cette raison que le bébé Jack-Jack s’impose aisément comme la meilleure source d’idées du métrage. Sa multitude de pouvoirs est un réservoir à gags constant, d’autant plus drôle que sa puissance est totalement disproportionnée à la taille de son corps. A travers lui, Brad Bird ramène le super-héros à un idéal, à une innocence que peinent à retrouver les autres membres de la famille Parr. Jack-Jack refuse d’être un pantin, et est heureux d’être un électron libre jouant avec toutes ses facultés. Il nous rappelle que le super-héros est avant tout un terrain de jeu créatif, un bac à sable que le cinéaste exploite à l’extrême pour notre plus grand plaisir. C’est peut-être ce que j’ai le plus retenu de cette suite extraordinaire : il est bon de se souvenir de nos jeux d’enfants, mais il est encore meilleur de les réinventer.
Réalisé par Brad Bird, avec les voix (en VO) de : Craig T. Nelson, Holly Hunter, Samuel L. Jackson…
Sortie le 4 juillet 2018.