Comment coucher sur papier un parti pris de mise en scène, comment anticiper le contenu d’interviews qui n’ont pas encore été enregistrées, exprimer son propre point de vue sur des images qui n’ont pas encore été tournées ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, un documentaire ne se tourne pas « sur le vif », la plupart du temps, il prend naissance sous forme de scénario. Si un réalisateur peut, dans l’absolu, griffonner quelques notes avant de se lancer dans le tournage, il n’en aura pas moins besoin de fonds. A moins de s’auto financer, il lui faut trouver dans un premier temps un producteur, puis un diffuseur. Pour convaincre un décideur de l’intérêt et la viabilité du projet, l’auteur du futur documentaire va devoir rédiger un dossier comprenant synopsis, note d’intention et… scénario: voir qu’est-ce qu’un scénario?
Qu’est-ce qu’un documentaire ?
Il existe diverses formes de documentaires, de part leur durée, mais aussi et surtout, de part leur forme. Parmi ses diverses déclinaisons : documentaire historique, géographique, animalier, « making off », portrait (célébrités ou personnages du quotidien), film d’observation, biographie, enquête… Certains documentaires s’apparentent au reportage (réalité filmée en « direct »), d’autres à la fiction. Dans certains cas (« Un coupable idéal » de Jean-Xavier de Lestrade, film retraçant le combat d’un avocat américain pour défendre un jeune garçon noir, accusé de meurtre sans aucune preuve valable), le documentaire est strictement construit comme un long métrage de fiction : structure en trois actes, protagoniste qui mène une enquête, obstacles, suspense, climax et résolution.
Mais, quel que soit sa forme ou son sujet, un documentaire se base sur le réel : un fait, un lieu, un épisode historique ou un personnage existant. Le postulat de départ est toujours le même : on prend appui sur une réalité pour en dire plus, pour montrer quelque chose de plus large. Il s’agit pour l’auteur d’identifier ce qui, dans cette réalité, peut constituer une histoire. C’est là que documentaire et fiction se rejoignent. Dans les deux cas, on parle d’histoire, de thème, de point de vue de l’auteur, de situations, de scènes, voire même de personnages. Dans les deux cas, l’étape du scénario va se révéler nécessaire.
Le documentaire met en relation (comparaison, connexion) un sujet réel avec la vie des spectateurs, mais c’est aussi une narration, une façon particulière de conter une histoire.
Comment écrire un documentaire ?
A. Préparation
Le documentaire est avant tout un travail de réflexion, de conception à partir d’un sujet réel. Comme c’est le cas pour l’écriture d’une fiction, l’auteur commence à s’informer sur son sujet, à faire des recherches (bibliographie, filmographie, Internet…). Dans le cadre d’un documentaire, les repérages sont nécessaires dès la phase d’écriture.
C’est également au cours de cette genèse du projet que vont avoir lieu les premières rencontres avec les personnes qui seront filmées et interviewées. En effet, ces intervenants se trouvent soudain en position de comédiens : ils vont devoir interpréter leur propre rôle, du point de vue du réalisateur. Comme dans une fiction, ce sont ces personnes (personnages) qui vont séduire le public, le pousser à s’identifier, s’impliquer dans le récit, ce sont eux qui vont créer une émotion dans le film.
Le public va être d’autant plus touché par les « héros » du film qu’il sait que ces personnes existent réellement. C’est la grande force du documentaire : la réalité est plus forte que la fiction.
Ce cinéma du réel doit être attractif pour le spectateur, il a une dimension de spectacle, de divertissement. C’est la raison pour laquelle on applique le terme de narration, voire même de dramaturgie, au documentaire. Il faut penser, au cours de l’écriture, à un casting, au rythme du récit, éventuellement à créer des amorces, du suspense… En faisant des recherches, il faut non seulement se concentrer sur les faits liés au documentaire, mais aussi sur la manière de les montrer clairement au public.
Une fois que l’auteur s’est bien « immergé » dans son sujet, il va devoir faire des choix. Tout d’abord, il définit clairement le sujet et le thème de son film. Puis, il doit sélectionner les éléments qui servent le mieux son propos : choix de lieux, choix de scènes, de situations, de personnes…
Ecrire un documentaire, c’est aussi se demander ce qu’on veut expliquer à travers ce film, quels seront les principaux points abordés et leurs liens entre eux, quelles seront les images susceptibles de fournir des indices supplémentaires… Le film doit passer par plusieurs phases :questionnement, explication et conclusion.
Diverses structures permettent d’illustrer cette explication :
- énumération (un phénomène et plusieurs causes)
- cause / conséquence (la conséquence devenant la cause d’une nouvelle conséquence…)
- problème / solution (problème, cause du problème, solution)
- comparaison (différences, ressemblances, similitudes)
Les options qui s’offrent à l’auteur sont vastes, une grande partie du travail de préparation du documentaire consiste à effectuer ces choix. Il n’y a pas de formule type, de parti-pris de réalisation meilleur que les autres. La seule chose à garder en tête au moment de l’écriture, c’est que la forme doit suivre la fonction, c’est à dire que le projet rédigé sur papier doit suggérer le genre de film qu’on souhaite réaliser, que le langage utilisé doit être cohérent avec le style de ce film.
B. Dossier
L’auteur va devoir convaincre un producteur dans un premier temps, puis, un diffuseur, d’engager des fonds dans son projet. La plupart du temps, le réalisateur ne dispose à ce stade d’aucune image (il peut éventuellement tourner une démo en vidéo). L’outil qui va lui permettre de vendre le projet, c’est le dossier. Le dossier d’un documentaire se compose d’un synopsis, d’une note d’intention et du scénario lui-même.
Dans la note d’intention, l’auteur expose rapidement le sujet de son film, la trame de l’histoire, les lieux et les personnes qu’il compte filmer mais il doit surtout défendre son point de vue sur le sujet abordé, son désir de le traiter, l’angle qu’il a choisi. Deuxième point capital, le réalisateur doit convaincre de l’intérêt, de l’émotion, que le spectateur peut retirer de ce documentaire. Ce texte est sensé permettre aux lecteurs de visualiser ce que seront le ton et le « message » du film. Bref, qu’elle s’applique au documentaire ou à la fiction, la note d’intention remplit toujours la même fonction : convaincre, séduire, rassurer sur la viabilité de l’auteur et du projet.
Le synopsis résume, étape par étape, le structure du futur film et son contenu. Il fait un bref rappel du sujet traité, du contexte historique, géographique, sociologique, s’il y a lieu de le faire. Il peut également dresser un rapide portrait des personnes qui apparaîtront dans le film. Le rôle de ce document est de donner envie de lire le scénario, il doit donc le représenter avec fidélité, tant par le style que par le rythme.
Quant à la troisième pièce du dossier, elle peut être indifféremment un scénario ou un traitement, tout dépend en fait de la forme du documentaire. Lorsque le sujet est traité d’une façon très proche de la fiction, il vaut mieux prendre la peine de rédiger un scénario. Le scénario de « Monsieur contre Madame », un documentaire de Claudine Bories qui montre le quotidien d’un centre de médiation, ressemble trait pour trait à un scénario de fiction : structure découpée en actes, en scènes, prologue, épilogue et même… dialogues. Ecrire des dialogues précis dans un scénario de documentaire n’est pas une façon de « truquer » la réalité au moment du tournage, mais d’affirmer dès l’écriture que la parole sera mise au premier plan dans le futur film.
Un documentaire n’est pas tenu de décrire la réalité de façon brute, de respecter la chronologie des évènements, ni d’utiliser une narration linéaire. Quand le film, par son concept, s’éloigne de la fiction, il vaut mieux rédiger un traitement qui fait l’inventaire de chaque élément du film : scènes, interviews, extraits de films, photos, et montre la manière dont ils seront organisés entre eux.
Ce scénario (ou traitement) est en quelque sorte le récit d’une réalité dont l’auteur a été témoin au moment des repérages et qui lui a donné un désir de film, réalité qui sera réaménagée au moment du tournage.
Le scénario de documentaire suggère comment le film sera organisé pour communiquer les informations au public, mais ce n’est pas un texte figé, seulement un outil de travail, de prospection, dont l’écriture va évoluer au cours du tournage et du montage.
C. Le Tournage
Alors que sur le tournage d’un film de fiction, le scénario est un outil prépondérant et utilisé par chaque intervenant, le réalisateur de documentaire va se détacher de cet outil au moment du tournage. Il ne s’agit pas de faire rejouer aux personnes filmées des scènes déjà observées par l’auteur, de mettre dans leurs bouches des phrases écrites dans le scénario. Quant au réalisateur, il a besoin de retrouver une fraîcheur face aux images qu’il tourne.
Sur le tournage du documentaire, le scénario a cependant un rôle de médiateur à jouer : il est un outil de dialogue entre le réalisateur et ses techniciens, un témoignage de ses envies, ses partis-pris de mise en scène. De bonnes images ont besoin d’être préparées, planifiées. Ce qui va être montré au spectateur n’est qu’une abstraction, une interprétation de l’événement originel. Le scénario joue le rôle de référence, de garde-fou pour toute l’équipe de tournage.
D. Le montage
C’est précisément parce que le tournage d’un documentaire apporte un lot de fraîcheur, de surprise, d’imprévus, que l’étape du montage va s’avérer une phase d’écriture à part entière. Le produit filmé ne sera pas forcément fidèle à son concept sur le papier. L’auteur, qui, au stade de l’écriture, ne pouvait qu’imaginer ce que ses personnages allaient faire ou dire devant la caméra, se retrouve avec des minutes, voire des heures, d’images spontanées qui peuvent tout aussi bien conforter que contredire son propos d’auteur. Là encore, le réalisateur va devoir faire des choix, du tri parmi toutes les heures de rushes à sa dispostion.
C’est le montage qui va donner au film une cohérence, souligner les enchaînements entre les diverses parties du récit, créer une unité visuelle. Cette étape va jouer un rôle très important au niveau du rythme du film, surtout quand il repose sur de nombreuses interviews. Dans un premier temps, le montage permet de supprimer tout ce qui redondent dans le discours des interviewés, tous les temps morts. Mais il offre au réalisateur bien d’autres possibilités pour rendre les images plus dynamiques, pour créer des enjeux, voire du conflit : faire s’entrecroiser les interviews par exemple, ou encore, les décomposer en plusieurs courts passages qui seront disséminés tout au long du film, bref, les opportunités sont multiples.
Ecrire un scénario de documentaire est une démarche qui peut sembler ardue de prime abord, parce qu’elle oblige l’auteur à anticiper un réel qui n’a pas encore eu lieu.
Une bonne idée n’est pas suffisante pour donner naissance à un bon film, encore faut-il présenter une histoire, des personnages, des enjeux. Mais cette étape est aussi un moyen de prendre du recul sur le sujet du film, de se poser des questions, de donner de l’épaisseur, de la maturité au projet. Tourner un documentaire, c’est filmer l’inconnu, et l’écriture y prépare. L’élaboration d’un film documentaire n’est en définitive pas très éloignée de celle d’une fiction : il s’agit toujours de conter une histoire, de présenter des personnages. Certains films documentaires contiennent d’ailleurs une part de fiction.
Prendre le temps de coucher sur papier son projet de documentaire, c’est aussi mettre toutes les chances de son côté au moment des démarches en vue d’un financement, d’une diffusion. Qu’ils appartiennent au CNC ou à une chaîne de télévision, les décideurs ont des attentes rigoureuses vis à vis des auteurs. L’écrit, par son caractère définitif, les rassure quant aux intentions du réalisateur. Plus le dossier est développé, plus il est le gage d’un travail sérieux en amont du tournage.
De précieux outils pour écrire un documentaire :
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