Les Croix de Bois (1932) de Raymond Bernard

Ce film est le premier chef d'oeuvre français sur la guerre 14-18, mais il n'est que le second sur le sujet après le moins connu "Verdun, Visions d'Histoire" (1928) de Léon Poirier. Adapté du roman éponyme (1919) de Roland Dorgelès, l'auteur y raconte l'enfer de la Première Guerre Mondiale d'après ses propres souvenirs. Evidemment on pense fortement à "A l'Ouest, rien de nouveau" (1930) de Lewis Milestone... Le réalisateur Raymond Bernard co-signe le scénario avec André Lang ainsi qu'avec l'assistance de l'auteur lui-même qui participera également un découpage des scènes. En effet, le livre est une succession de scènes pas vraiment reliées entre elles, il a donc fallu créer une logique narrative pour les besoins du film. Il y a quatre personnages principaux. D'abord le caporal Bréval sorte de papa de l'escouade incarné par Charles Vanel qui n'est pas encore le monstre sacré qu'il sera, le soldat Demachy un étudiant en droit idéaliste interprété par Pierre Blanchard qui avait déjà tourné pour le réalisateur dans "Le Joueur d'Echec" (1926), le soldat Sulphart le joyeux drille de la troupe incarné par Gabriel Gabrio et le soldat Bouffioux peureux et souffre-douleur joué par Pierre Labry, ces deux derniers se retrouveront dans un autre grand film "Les Visiteurs du Soir" (1942) de Marcel Carné. Une grande partie de cette équipe se retrouvera juste après pour le film "Les Misérables" (1933)...

Les Croix de Bois (1932) de Raymond Bernard

Le film a été restauré par Pathé en 2014 et offre désormais une cure de jouvence pour ce film ambitieux à tous points de vue. Tourné en 35mm et en 1,37:1 (soit un écran presque carré), ajouté à une mise en scène qui évite les mouvements de caméra, on a une réalisation qui se veut assez proche de la vision de l'auteur. En effet, par cette fenêtre sur les tranchées et le quotidien des poilus le réalisateur nous place comme devant un oeilleton, témoin discret de l'horreur de la guerre dans un style très réaliste avec des plans dignes d'un album photographique d'époque. D'ailleurs le réalisme est une nécessité pour Raymond Bernard, un réalisme qui va d'ailleurs rattraper l'équipe du film. Le tournage a donc eu lieu en Champagne sur un vrai champ de bataille (ruines du fort de Pompelle, chaos du Mont Cornillet) dont l'armée à autoriser l'accès. L'armée a également fourni des soldats mais ceux-ci ne combleront pas le soucis d'authenticité de Raymond Bernard qui aura alors recours a des véritables vétérans et rescapés des tranchées dont justement Charles Vanel qui dira : "Nous n'avons pas eu besoin de jouer, nous n'avons eu qu'à nous souvenir"... Le tournage fut difficile, psychologiquement assurément, mais aussi par plusieurs retards dus aux corps et obus qui refaisaient surface !!!...

Les Croix de Bois (1932) de Raymond Bernard

Le film ne se veut pourtant pas un drame pacifiste et aveugle. La mort est omniprésente mais on voit aussi les soldats rire et chanter quand ils le peuvent. Jamais, même dans les scènes les plus émouvantes, jamais le film ne tombe dans le pathos. Le film atteint un paroxysme lors d'une bataille de 10 jours qui dure 30mn à l'écran ; une partie savamment gérée, presque documentaire avec un encart qui se répète pour bien montrer l'éternité que cela devait être pour ces soldats comme chair à canon. Enfin, le cinéaste use intelligemment et avec parcimonie la surimpression d'image pour signifier les pensées de quelques protagonistes, souvent quand l'heure de la fin approche. Raymond Bernard signe un film magnifique, dure et émouvant, humain et sans fioriture, à hauteur d'homme dirait des hommes comme Vanel. Pour conclure, Raymond Bernard raconte cette anecdote après avoir projeter son film en avant-première aux anciens combattants de son régiment : "Quel accueil allaient-ils faire à la résurrection que nous avions tentées ceux qui avaient réellement vécu les heures, qu'avec tant d'acharnement, nous nous étions efforcés de fidèlement évoquer ?J'avais pris place dans la cabine de projection car je tenais essentiellement à régler moi-même le son et, durant toute la durée du spectacle, je ne lâchai pas le potentiomètre qui permettait de le commander. (...) Avant de quitter la salle je fus nommé "soldat d'honneur" du régiment qui m'avait servi de modèle. Ce titre ne voulait rien dire ? Pourquoi ? Il signifiait peut-être que j'avais bien travaillé. Et j'en fus très fier."

Note :

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