DÉTECTIVE DEE – LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES : Vertige des sens ★★★★★

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Tsui Hark revient avec un spectacle total, jubilatoire et passionnant, et offre au passage une 3D d’anthologie. LA claque de l’été !

Le premier Détective Dee a confirmé un tournant dans la carrière de Tsui Hark. Outre un retour au wu xia pian, genre dont il a contribué à bouleverser les codes, dépeindre les aventures romancées d’un grand héros de l’Histoire chinoise a résonné avec ses premiers succès, en particulier la saga Il était une fois en Chine, qui a modernisé l’image du célèbre maître des arts martiaux Wong Fei-Hung. Pour autant, ce dernier a toujours été un réceptacle, à la fois aux expérimentations visuelles du cinéaste, mais surtout à son regard sur les fantasmes de son pays, sur les traditions de son passé agissant encore sur son présent. Tsui Hark a toujours interrogé l’Histoire et ses figures, symboles révolutionnaires que les discours officiels essaient de faire entrer dans un moule, amenant chez le réalisateur une rage politique accordée à sa mise en scène, aussi pertinente et soignée que parfois joyeusement immature et anarchique.

Mais avec Détective Dee, l’auteur a trouvé une forme de maturité, une conscience de la censure chinoise qu’il est inutile d’attaquer de front. Il vaut mieux, au contraire, la comprendre et l’amadouer pour la détourner, pour faire bouger petit à petit les lignes. Or, c’est précisément la philosophie qui régie le héros de sa nouvelle saga, chancelier et enquêteur de talent, mais surtout icône de la dynastie Zhou ayant apaisé le règne difficile de l’impératrice Wu Zetian. Le rapport entre Tsui Hark et son personnage n’en paraît que plus évident, et tout comme celui-ci, le réalisateur possède aujourd’hui une maîtrise de son art absolument démentielle, le rendant capable de dissimuler ses interrogations avec beaucoup plus de subtilité, au détour d’un dialogue ou d’un cadre.

Il est alors peu étonnant que ce troisième volet, intitulée La Légende des Rois Célestes, se concentre sur la question du regard, ou plutôt sur la facilité de son obstruction. Le détective Dee doit cette fois-ci faire face à des illusionnistes et une secte pouvant façonner des visions surnaturelles, suite d’images de synthèse spectaculaires qui viennent littéralement prendre le contrôle de l’image, et du réel. Les outils numériques ont eux aussi fait évoluer le cinéma de Tsui Hark, dans leur manière de repousser les limites de son inventivité, mais aussi dans sa réflexion sur la réécriture possible de l’Histoire et de ses représentations ; et Détective Dee 3 en est le nouveau paroxysme, que l’on pensait déjà atteint avec le génial La Bataille de la montagne du tigre. Le postulat du récit permet un retour merveilleux à la dimension foraine du septième art, à la place du créateur en tant que magicien pouvant contrôler les éléments pour raconter son histoire (rendant d’ailleurs très intéressante l’exploitation du film en 4DX).

Néanmoins, cette jouissance est constamment sclérosée par un sous-texte désenchanté sur le contrôle des masses et sa simplicité, dont la première victime n’est autre que l’imaginaire. C’est pourquoi La Légende des Rois Célestes est avant tout un long-métrage rafraîchissant et essentiel face à la surconsommation de blockbusters américains normés et insipides. Tsui Hark propose à l’inverse un pur shoot d’adrénaline, un spectacle total où la direction artistique et la photographie sont sublimées par un découpage d’une richesse folle, sculptant des séquences d’action dantesques avec un sens de la scénographie qui permet au film d’offrir l’une des meilleures 3D vues à ce jour dans une salle de cinéma. Quitte à même épuiser sur la longueur (mais comment l’en blâmer ?), Détective Dee 3 recèle d’un amour profond pour le septième art, désireux d’en extirper une sensorialité rare avec les outils qu’il a sa disposition (la haute définition et le relief permettent un ressenti étonnant des textures). Vertigineux, épique, surprenant, l’ensemble ne cesse d’en mettre plein les yeux avec un plaisir communicatif. Tsui Hark combat ainsi la normalisation des mythes par un mélange des genres totalement décomplexé, n’hésitant pas à incorporer de la romance, du thriller et même du kaiju eiga au sein de son wu xia pian. Entre ses décors et costumes somptueux, ses doses d’humour bien senties, ses personnages parfois pensés comme des boss de jeux vidéo jubilatoires, ou encore son climax absolument orgasmique, où les échelles de cadres et de combats s’alternent tout en faisant tournoyer les armes et les corps dans tous les sens, La Légende des Rois Célestes s’impose aisément comme l’une des propositions de cinéma les plus bandantes et passionnantes de l’année. De quoi confirmer (si cela est d’ailleurs nécessaire) la place essentielle de Tsui Hark dans le paysage cinématographique mondial, et son statut de savant fou, dont l’industrie a clairement besoin.

Réalisé par Tsui Hark, avec Mark Chao, Carina Lau, Gengxin Lin

Sortie le 8 août 2018.