Un cauchemar labyrinthique passionnant, où la drôlerie côtoie l’horreur et l’amertume.
Révélé grâce à son brillant et terrifiant It Follows, sélectionné à la Semaine de la Critique – tout comme son premier film The Myth of the American Sleepover, David Robert Mitchell revient aux affaires avec Under The Silver Lake, encore une fois présent au Festival de Cannes mais cette année en Compétition Officielle. Absent du palmarès, le film aura néanmoins interpellé les festivaliers, suscitant de vives réactions, bonnes ou mauvaises. La raison en est l’ambition démesurée de son auteur, avide de synthétiser une foule d’idées et d’inspirations dans un récit à tiroirs, à plusieurs niveaux de lecture.
L’histoire, c’est celle de Sam (Andrew Garfield), jeune trentenaire sans emploi, trop occupé à espionner son voisinage pour reprendre sa vie en main. Un passe-temps qui le conduit finalement à Sarah (Riley Keough), une nouvelle et mystérieuse voisine, dont il perdra la trace le lendemain de leur rencontre. Résolu à la retrouver, Sam se lance à sa recherche dans tout Los Angeles, suspectant peu à peu l’existence d’un complot à grande échelle.
En empruntant les codes et les archétypes du film noir, Mitchell positionne son héros sur un itinéraire bien connu, peuplé d’individus interlopes et ponctué de virées nocturnes, comme l’avaient fait David Lynch et Stanley Kubrick avec Blue Velvet et Eyes Wide Shut. Une errance programmatique et paranoïaque que Mitchell aborde avec une modernité et une ironie de chaque instant. S’il évoquait déjà indirectement le phénomène des « followers » sur les réseaux sociaux dans It Follows, le cinéaste prend ici en compte le caractère sacré que revêt la culture populaire pour toute une génération biberonnée aux albums de Nirvana et aux jeux-vidéo « Mario » sur Nintendo. Chaque référence, chaque objet sentimental devient alors sous l’oeil de Mitchell une énigme à déchiffrer, une pièce d’un puzzle à recomposer, d’où le rapport particulièrement ludique qu’entretient le spectateur avec l’oeuvre.
La réussite de l’entreprise tient aussi au jeu de Garfield, parfait en « adulescent » halluciné, voyant des signes partout autour de lui, dans les paroles d’une chanson ou sur des boîtes de céréales. Il fait de Sam un personnage éminemment complexe, à la fois attachant mais également inquiétant sous bien des aspects. Alors qu’il s’expose de plus en plus au danger, il se laisse imprégner par la folie et l’horreur qui l’entourent. Mitchell témoigne à nouveau d’un talent évident pour créer l’angoisse, au détour de scènes cauchemardesques, impliquant notamment un tueur de chiens et une femme-chouette sanguinaires. Une galerie de croque-mitaines faisant écho à la part mythique voire mythologique de Los Angeles, célèbre « cité des anges » dévorée par les démons d’Hollywood, ces « puissants » qui fabriquent les rêves et fantasmes des classes populaires.
De ce constat amer naît la mélancolie du film et de son héros qui, après avoir découvert le pot-aux-roses, observe depuis le balcon d’en face son appartement et par métaphore ce qu’il renferme, à savoir le souvenir de ses illusions passées. Pour autant, le regard du cinéaste comme celui de son acteur s’en amuse plus qu’il ne s’en attriste, rappelant au spectateur que tout ceci n’est pas une fin en soi mais au contraire, le début d’une nouvelle ère, le début de l’âge adulte.
Réalisé par David Robert Mitchell, avec Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace…
Sortie le 8 août 2018.