Mission Impossible : Fallout, film d’action américain de 2018, réalisé par Christopher McQuarrie, avec Tom Cruise, Henry Cavill et Rebecca Ferguson
Trois ans après un cinquième opus acclamé, Mission Impossible revient plus en forme que jamais avec ce sixième opus qui, fait rare dans la saga, conserve le même réalisateur et, dans les grandes lignes, le même casting. Mission Impossible : Fallout s’inscrit donc sur le papier dans la continuité de Rogue Nation, un pari qui semble oser tant il s’oppose à la nature de la saga. Le jeu en valait-il la chandelle, ou Christopher McQuarrie s’est-il pris les pieds dans le tapis au moment de passer la deuxième ? Tentative de réponse en quelques points.
On l’a dit plus haut, le projet de base de ce sixième Mission Impossible est de s’ancrer comme une véritable suite du cinquième opus. Reprenant ainsi globalement les mêmes personnages principaux, agonistes comme antagonistes, Christopher McQuarrie offre à la saga un développement sur le long terme En effet, force est de constater lors de ce visionnage que la compréhension totale du film nécessite le visionnage des épisodes précédentes, tout du moins Rogue Nation à minima. Si la saga s’était affirmé avant comme l’occasion pour plusieurs réalisateurs talentueux au style affûté de venir à chaque fois faire un épisode unique en son genre, véritablement rattaché au reste par la présence conjointe de Tom Cruise et Ving Rhames, les opus plus récents semble ouvrir vers d’autres perspectives. En faisant dans un premier temps de Mission Impossible une suite de one shot à grand spectacle, les producteurs, et Tom Cruise en premier lieu, s’assurait une vraie liberté d’action en prenant le contrepied du développement de saga que l’on a l’habitude d’avoir. Mais, depuis 2011 et Mission Impossible : Protocole Fantôme signé Brad Bird, on sent dans la saga une volonté de continuité, de construction sur plusieurs épisodes qui permettrait, outre la grande action, offrir un poids dramatique et émotionnel plus fort. C’est dans cette idée que vient s’inscrire Fallout, permettant une implication émotionnelle des spectateurs plus intense que jamais. Nous ne réagissons plus désormais face à des personnages que nous n’avons pas eu le temps d’intégrer, mais face à des têtes connues auquelles nous sommes déjà attachés. C’est donc tout naturellement que nous vibrons plus lors des instants plus dramatiques, par exemple lors des confrontations entre Ilsa et Ethan ; nous ne sommes plus face à des personnages lambdas, et l’implication n’en devient que plus importante. Mais cet avantage clair de s’appuyer sur des personnages déjà introduit personnellement (à l’exception de Walker, en qui naturellement nous accordons moins d’importance) est aussi le principal défaut du film, avec son premier acte quelque peu raté. Car en se reposant sur ses personnages, McQuarrie oublie qu’un film, même dans une saga, doit comporter un minimum concernant l’introduction des personnages. Or, Fallout se prend les pieds dans le tapis sur ce point, en plongeant directement dans l’action sans même un minimum de mise en abîme, nécessaire pour rendre l’expérience optimale. On ne sait simplement, au travers d’un court dialogue, que deux années ont passés depuis Rogue Nation. D’autres petites informations seront délivrées par ci par là, mais on est bien loin de mettre en place correctement des personnages pour un film qui se veut aussi impliqué sur l’émotion, laissant indubitablement de côté les personnes qui découvrent la saga avec cet opus. Le récit sera d’ailleurs assez inégal quant aux personnages, faisant la part belle aux principaux qui se développe de manière sublime, au détriment de personnages secondaires qui sont soit présent juste pour faire le nombre et qui sont jetés à la fosse au lion sans rien derrière (Alec Baldwin pour ne citer que lui), ou qui servent quasi-uniquement de macguffin (Michelle Monaghan).
Pourtant, malgré ce scénario quelque peu en dent de scie, Christopher McQuarrie arrive à nous scotcher continuellement au fond de notre fauteuil, en offrant du spectacle à grand échelle. En offrant plusieurs grandes scènes d’action magistralement chorégraphiée, magistralement souligné par des moments intimes d’émotion, trop rare jusqu’à présent, McQuarrie constitue un savant cocktail de blockbuster de qualité supérieure. Plus encore, la mise en scène semble une version améliorée de celle de Rogue Nation, la plus simpliste et sans âme de la saga, en y incorporant des vraies trouvailles de mise en scène, tel que le plan séquence du saut en parachute, et en offrant une certaine patine visuelle qui rend cet opus reconnaissable au premier coup d’oeil, comme une réponse à une des critiques les plus récurrentes des deux opus précédents, trop passe-partout pour beaucoup. Même si le tout reste très classique et sans grande innovation, force est constater que la mise en scène s’adapte parfaitement au fur et à mesure du film pour offrir un mélange consistant, plaisant au visionnage, et qui fait la part belle à la performance des acteurs. Derrière Tom Cruise, qui semble désormais posséder Ethan Hunt comme deuxième identité tant il fait corps avec lui, Fallout offre une excellente partition aux trois compagnons, Luther, Benji et Isla, qui chacun à leur manière sont capables d’exprimer comme rarement dans Mission Impossible leurs talents. Benji ne se contente plus désormais d’être le rigolo de service, et, même si de nombreuses notes d’humour viennent par lui, McQuarrie et Pegg lui offre une dimension d’agent secret bien plus importante, renforçant la crédibilité du personnage ; Isla elle ne se contente plus d’être la femme fatale qui doit faire le quota féminin, mais devient plus complète, plus humaine, et vient prendre une place naturelle, celle de quatrième comparse permanente d’une équipe, poste qui semblait bâclé en cinq épisodes (le tout campé par une exceptionnelle Rebecca Ferguson qui sort une excellente performance, d’autant plus incroyable lorsqu’on sait qu’elle tourna ce film enceinte, de 6 mois lors des scènes finales dans le Kashmir) ; enfin Luther se hisse lui comme l’alter-ego sage de Hunt, comme un hydre à double facette pour le duo qui forme Mission Impossible depuis le début, avec peut-être la meilleure performance de Ving Rhames, Luther véhiculant ici l’humanité et la sagesse qui répond au côté surhumain et virevoltant de Hunt, une complémentarité magistralement exprimée dans la scène de l’interrogatoire du professeur Debruuk où la fougue de Hunt est calmée par la sagesse de Luther. En offrant ainsi des vrais rôles de composition, le film s’offre la possibilité d’approfondir un peu plus les personnages fondamentaux de la saga, et ainsi de mettre en avant des thématiques rarement exploitées auparavant.
En effet, telle l’apogée de cette deuxième trilogie, Fallout tend à humaniser la saga comme rarement. Fini les trahisons en tout genre et les retournements de situation rocambolesques (le seul du film étant spoilé dans les grandes largeurs par les bande-annonces) : désormais nous revenons à une échelle plus simple, celle où chaque vie compte. En choississant Luther plutôt que le plutonium, Hunt nous montre sa principale faiblesse et sa principale force : celle de ne pas être si solitaire qu’on le prétendait jusqu’alors, et de reposer avant tout sur une équipe qu’il considère comme sa véritable famille. C’est quelque chose que Luther exprime simplement à Ilsa dans ce qui reste comme la meilleure scène du film, lorsqu’il dit au personnage de Rebecca Ferguson que seule deux femmes ont compté pour Hunt. C’est en offrant un réel visage aux menacés qu’Hunt se surpasse, et redevient finalement humain. C’est en perdant le costume surhumain de sauveur unique de l’univers qu’il porte si souvent dans la saga que Hunt s’accomplit finalement. Cette humanité de Hunt s’exprime finalement de manière frontale lorsqu’il vient s’excuser à la policière parisienne (outre une réponse aux attentats de Paris, comme Cruise l’a évoqué en interview) : la victime avait un visage et, confronté à la propre dureté de son rôle dans la société, Hunt se sent obligé de s’excuser, comme désarmé face à une situation qu’il ne maîtrise pas. C’est d’ailleurs ici que l’on voit à nouveau la place toute particulière que Luther a eu, celui d’un père de substitution, dont Hunt ne peut se passer, tel Han Solo (pour Hunt) et Chewbacca (pour Luther) : amis devant l’éternel, le premier a libéré le second (de l’esclavage pour Chewbacca dans l’univers Legends, du désavouement de la CIA pour Luther dans le premier Mission Impossible), et les deux se complètent comme une extension de l’autre. L’humanité de Hunt s’incarne aussi dans Julia et Isla : il ne cesse de courir pour éviter la première, tandis qu’il est contre son gré ramener vers la deuxième continuellement ; comme une passation de pouvoir, on sent désormais que Julia a fait son temps pour laisser place à Ethan, qui semble avoir besoin d’une présence féminine à ces côtés pour s’équilibrer. La quête de la présence féminine nous amène d’ailleurs à penser le film comme une relecture entre les lignes de L’Odyssée d’Homère, où Ulysse brave les flots aux côtés de ces compagnons pour retrouver celle qui chérit son coeur. En faisant de Julia à multiples reprises le talon d’Achille de Ethan, le film renferme l’entonnoir sur le final où, plus que de vouloir sauver la Terre, Hunt semble vouloir simplement sauver ceux (voir juste celle) qu’il l’aime, tel la conclusion d’une quête au plus profond de lui-même comme pour éclairer ces vraies volontés. C’est en humanisant Hunt que McQuarrie va en faire son Ulysse, qui devra passer par différentes étapes déstabilisantes pour être finalement digne d’accomplir sa destinée. C’est en dressant ce projet d’humanisme en mettant de côté les brides décousues posées précédemment dans la saga que McQuarrie cherche à offrir à Mission Impossible un nouveau souffle à l’aube d’attaquer sa troisième trilogie, qui désormais s’ancre sur la « famille » Hunt, avec le père Luther, la jumelle Ilsa, le petit dernier casse-coup Benji, et le fils prodigue Ethan.
Mission Impossible : Fallout, s’il n’est pas un blockbuster parfait, la faute à un scénario trop bancal, s’offre malgré une profondeur et une puissance rare, dépassant de loin le simple divertissement. En nous scotchant au fond de nos fauteuils avec le plus grand condensé d’action de la saga, mélangé à des moments intimistes bienvenus, McQuarrie offre à cette deuxième trilogie une excellente conclusion et jette de très bonnes bases pour la suite, offrant une dimension humaniste au monde de l’espionnage comme trop rarement, et en donnant à la force Mission Impossible une solide ossature. Le « blockbuster qui ravivera votre été » 2018, à voir et à revoir, tant son spectacle semble immersif et le plaisir de visionnage pur.
Note
4/5
Sixième opus de la saga, Mission Impossible : Fallout est une très bonne conclusion à la troisième trilogie. Il offre, malgré de nombreuses faiblesses liées à un scénario bancal et à une mise en scène qui, si elle a des fulgurances, reste somme toute classique, un merveilleux condensé entre de l’intensité émotionnelle et une action toujours plus dingue, faisant incontestablement de lui le blockbuster de l’été 2018.
Bande-annonce (avec de nombreuses images pas dans le film) :