Le premier sketch, qui donne son titre au film, suit le parcours d’un hors-la-loi à la voix d’or et à la gâchette facile (Tim Blake Nelson) et nous entraîne dans des saloons peuplés de cowboys patibulaires, de joueurs de poker nerveux et de fines gâchettes cherchant à se dégourdir les doigts. Drôle, subtilement décalée, passant à la moulinette les codes du western, cette première partie est une petite merveille.
Le second sketch est du même calibre. Il s’agit d’un conte cruel, articulé autour des tribulations d’un braqueur de banque (James Franco) victime d’un stratagème original, mais aussi et surtout des caprices du destin, qui vient lui rappeler au pire moment que les crimes ne restent jamais impunis…
Le troisième chapitre marque une nette rupture de ton, de la comédie au drame, et aussi, hélas, une perte de rythme.
Le récit nous entraîne dans le sillage de deux saltimbanques itinérants, un vieillard mutique (Liam Neeson) et un homme-tronc plus volubile, qui déclame des pièces de théâtre classiques devant les spectateurs de petites villes perdues. L’art oratoire du garçon leur permet de récolter chaque soir quelques cents, juste de quoi acheter à manger pour deux. Forcément, ce n’est pas le personnage qui va jouer de la gâchette. Cette partie est plutôt calme, niveau fusillades. Pour le plomb, en revanche, on peut compter sur les textes déclamés par le comédien, qui finissent par faire fuir le public, à l’écran comme dans la salle.
Les troisième et quatrième récits restent dans cette veine, plus cruelle, plus dramatique, illustrant d’autres thématiques classiques du western : Evocation de la “ruée vers l’or”, à travers l’histoire d’un vieux prospecteur (Tom Waits) qui parcourt la montagne à la recherche d’un filon d’or colossal, ou de la conquête de l’Ouest, sur les traces d’une caravane de colons en route pour l’Oregon, avec en arrière-plan la menace d’une attaque par les indiens. Il est assez logique que le film passe ainsi de la comédie au drame. Les frères Coen veulent rappeler que l’Amérique s’est construite sur la violence et le sang, et que ceux qui ont survécu à la conquête de l’ouest étaient pour la plupart des brutes épaisses, des rustres ou des fous. Ceci explique aussi pourquoi, aujourd’hui, ce pays est mal en point, aux mains d’un président qui synthétise un peu toutes ces tares.
Le dernier sketch, inquiétant et baigné dans un humour décapant, explicite bien leur démarche, en faisant l’allégorie d’une civilisation à bout de souffle, en plein déclin. A bord d’une diligence exigüe, qui pourrait symboliser les Etats-Unis, cinq personnages que tout oppose sont contraintes à cohabiter : un français vicieux, un trappeur azimuté, une bourgeoise bigote, un beau parleur cynique et un irlandais trop tranquille pour être honnête. Pendant qu’ils se chamaillent et finissent par comprendre qu’ils ont au moins en commun la peur de mourir et l’acceptation sans réserve du concept de “loi du plu fort”, le cocher continue de fouetter les chevaux, entraînant ce melting-pot improbable tout droit aux portes de la mort.
L’ensemble est assez cohérent et subtil, mais le problème vient du déséquilibre entre les différentes parties, de durée et de rythmes inégaux. Après une première demie-heure vive et pétillante, le rythme retombe et l’ennui menace, sans que les frères Coen retrouvent le brio du premier sketch. Un ordonnancement différent des différents sketchs aurait peut-être permis de maintenir l’intérêt du spectateur de bout en bout, en relançant la machine en cas de baisses de rythme ou de rupture de ton.
Mais ne boudons pas notre plaisir. The Ballad of Buster Scruggs s’inscrit parfaitement dans la filmographie des frères Coen, proposant comme toujours un scénario bien ficelé, des numéros d’acteurs réjouissants et une mise en scène inspirée, clairement au-dessus de la moyenne. Même si ce n’est pas une grosse pépite cinématographique, il y a là suffisamment d’or pour satisfaire les cinéphiles.