Pas de bol pour Léonard (Vincent Macaigne) qui, incapable de signer autre chose que des “auto-fictions” où il revient sur ses aventures sentimentales tumultueuses, s’essouffle à essayer de retrouver le succès de son premier roman. Au terme d’un déjeuner amical, Alain lui fait comprendre qu’il ne publiera pas son nouveau texte, qu’il est temps de changer de registre ou de changer d’éditeur.
Les deux hommes sortent un peu ébranlés de ce face-à-face.
Alain assume son choix, car il estime que le texte est un peu trop cru et ne correspond pas aux attentes des consommateurs. en même temps, il se pose des questions sur la fiabilité de son jugement, car son épouse Selena (Juliette Binoche) a, de son côté, adoré le texte (il ignore qu’elle entretient une liaison avec Leonard) et qu’il se demande si ses velléités de changement sont influencé par ses propres écarts conjugaux avec Laure.
Léonard, vaguement rebelle, se drape dans une posture d’artiste maudit et incompris. Il se refuse à changer sa façon d’écrire. Pourtant, ce rejet va l’amener à s’interroger sur l’instabilité de sa vie sentimentale et sur de nouvelles perspectives d’avenir…
Olivier Assayas se retrouve un peu dans ses deux personnages.
Comme Alain, il se pose de nombreuses questions sur l’évolution du monde en général et sur celle de la culture en particulier.
En tant qu’ancien critique aux “Cahiers du Cinéma”, il a plusieurs fois affirmé son attachement à l’écrit classique, à la presse, à l’édition traditionnelle. Il y a quelques années de cela, il avait d’ailleurs fustigé l’émergence des blogs de cinéma, regrettant que n’importe qui puisse s’improviser critique, au mépris de “vrais spécialistes”. Dans son nouveau long-métrage, Doubles vies, il semble avoir fait évoluer sa position. Du moins s’interroge-t-il, par le biais des joutes verbales de ses personnages, éditeurs, écrivains et acteurs, sur l’impact inéluctable de la révolution numérique sur les métiers artistiques. Comme le constatent les personnages, il est évident que l’essor des tablettes, liseuses et autres smartphones a bouleversé le rapport au texte. Les jeunes lisent sans doute moins de livres, mais, paradoxalement, lisent plus que leurs aînés, si l’on compte les textos, les tweets, les pages de sites internet. Et si le monde de l’édition est en perte de vitesse, l’essor des audio-livres montre qu’il y a encore une place pour la littérature, à condition de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation aux nouveaux goûts des lecteurs.
De la même façon, le cinéma subit la concurrence des oeuvres financées par les chaînes de télévision et les séries. Selena, la femme d’Alain, est la star d’une série policière grand public, un rôle assez basique, inintéressant à jouer, mais offrant un cachet garanti et une certaine notoriété qu’elle n’aurait probablement pas en jouant “Phèdre” dans une petite salle publique. Mais est-ce totalement incompatible? Il faut accepter cette évolution tout en préservant l’existant, comme le propose Alain, en conservant dans les deux cas une exigence artistique élevée.
Olivier Assayas est également comme Léonard, l’écrivain idéaliste, qui n’arrive pas à se renouveler. Lui aussi n’échappe pas à un certain carcan, celui du Cinéma Art & Essai français tel qu’enseigné à la FEMIS. Un carcan doré, certes, assez bavard, intello et bobo, mais toujours soigné. Mais comme Léonard, il semble aussi changer de style sous l’influence de sa compagne, Mia Hansen-Love. Devant Double vies, et son enrobage de comédie cynique, on pense beaucoup à L’Avenir, pour lequel la réalisatrice avait reçu un prix de la mise en scène à la Berlinale. On retrouve le même regard amusé sur les milieux artistico-bobos parisiens, les politiciens à la langue de bois et des individus qui ont du mal à trouver leur place dans une société en pleine mutation, pour le meilleur comme pour le pire.
Doubles vies est donc une oeuvre portée par des numéros d’acteurs inspirés, plaisante, pleine d’esprit et de répliques assassines – on ne verra plus jamais Le Ruban blanc de la même façon à présent, on vous laisse découvrir pourquoi!… C’est suffisant pour nous faire passer un bon moment au cinéma, mais peut-être un peu trop “classique” et lisse pour prétendre au Lion d’Or. Mais difficile, à ce stade de la compétition, de connaître les avis du jury présidé par Guillermo Del Toro…
Images : copyright Olivier Assayas – fournies par la Biennale de Venise