Aussi, on attendait avec un mélange de curiosité et d’appréhension son nouveau long-métrage, Werk ohne autor, une longue fresque de 3h08, entremêlant évènements historiques (de la prise du pouvoir des nazis jusqu’à la construction du Mur de Berlin) et mélodrame familial, ballotée d’Est en Ouest, entre fantômes du passé et monstres du présent.
Le scénario nous invite à suivre le destin mouvementé de Kurt Barnert (Tom Schilling), un artiste-peintre est-allemand, depuis son enfance à Dresde, au moment de la prise de pouvoir d’Hitler, jusqu’à son entrée à l’Académie d’art soviétique, puis son passage à l’Ouest, où il pourra enfin développer son propre style et mener une existence apaisée, loin des carcans, des contraintes et des pressions.
La première scène le montre, alors âgé de six ou sept ans, en train de visiter un musée d’art moderne. Le guide fustige les oeuvres présentées, qu’il qualifie de “dégénérées” ou “réalisées par des malades mentaux” pour mieux vanter le classicisme pictural allemand, que le Fûhrer en personne souhaite remettre au goût du jour. Kurt, lui, est fasciné par les toiles de Kandisky ou les statues d’Emy Roeder. Aussi, il en vient à se demander s’il a vraiment envie de devenir peintre plus tard, quand il sera grand, s’il faut se cantonner à une seule école esthétique, un peu poussiéreuse, datée et associée à une idéologie politique douteuse. Il est pourtant encouragé à persévérer dans son travail artistique par sa tante Elizabeth (Saskia Rosendahl), qui admire elle aussi ces oeuvres atypiques, mais en secret, pour ne pas se trahir aux yeux de ses camarades des jeunesses hitlériennes.
Elle n’idolâtre certainement pas le Führer, et encore moins son idéologie nauséabonde, mais son père a choisi de rejoindre les rangs du parti nazi, pour la sécurité et l’avenir de sa famille, aussi, la jeune femme n’a d’autre choix que de faire semblant d’adhérer au pouvoir en place. Hélas, la tâche s’avère trop difficile à assumer. Elle finit par craquer et donner des signes d’agitation mentale. Le médecin diagnostique une schizophrénie, une maladie que le régime entend éradiquer par des moyens radicaux, au même titre que la trisomie et d’autres déficiences mentales… Il est d’abord question de stérilisations forcées, orchestrées par Professeur Seeband (Sebastian Koch), avant que les ordres ne l’invitent à mettre en oeuvre une politique encore plus radicale. Pourquoi entretenir ces parasites de la société qui volent les lits d’hôpitaux pouvant servir aux bons soldats allemands partis faire la guerre pour la gloire de la nation? Aussi, Seeband se retrouve gratifié du droit de vie ou de mort sur ses “patientes”, avec pour consigne d’en user le plus souvent possible…
Toute la première partie du film traite de la guerre, de ses horreurs et de ses conséquences funestes pour la famille de Kurt.
La seconde n’est guère plus radieuse. Dresde est confiée à l’autorité des soldats russes et les citoyens découvrent que le régime stalinien n’est guère plus souple que celui de Hitler.
Alors que Seeband échappe miraculeusement aux accusations de crimes contre l’humanité dont il est soupçonné, Kurt entre à l’académie d’art de Dresde, où on lui enseigne l’art réaliste soviétique. Là encore, ce n’est pas vraiment ce qu’il voulait peindre, mais au moins peut-il étudier ce qu’il aime et apprendre les rudiments techniques qui serviront de base à son style.
C’est aussi là qu’il fait la connaissance d’Elizabeth, “Ellie” (Paula Beer), une jolie étudiante en mode qui ressemble beaucoup à sa tante, et dont il tombe instantanément amoureux.
La troisième correspond à la libération de Kurt, dans tous les sens du termes. Lassé de peindre des fresques à la gloire de Staline, il décide de partir à l’Ouest pour étudier l’art contemporain à la Kunstakademie de Düsseldorf. Mais il a du mal à trouver l’inspiration, au milieu de tous les concepts artistiques fumeux qui lui sont proposés. Une panne artistique qui s’amplifie quand sa relation de couple avec Ellie se retrouve ballotée par les aléas de la vie. Il réussira finalement à trouver sa voie en puisant dans son passé et en affrontant ses vieux démons, notamment en découvrant les secrets honteux de Seeband, qui continue, encore et encore, à échapper aux procès contre les anciens dignitaires nazis…
Florian Henckel Von Donnersmarck tient la gageure de raconter cette histoire assez chargée, mélodramatiquement parlant, sans jamais tomber dans le ridicule, en évitant le pathos ou les effets faciles, et sans aucune baisse de rythme, malgré la longueur du récit. Le film séduit par sa façon d’entrelacer l’histoire intime de cet artiste et le contexte historique, évoquant trois périodes importantes de l’histoire allemande du XXème siècle. Il délivre aussi un beau plaidoyer en faveur de la liberté créatrice et de la différence, des notions généralement rejetées par les régimes totalitaires de tout bord, qui entendent imposer une vision unique, un carcan artistique, politique, moral et l’élimination de tous ceux qui ne cadrent pas avec leur conception des choses.
Pour son grand retour après huit ans d’absence des écrans, c’est une belle réussite.
Images : ©2018 Buena Vista International Pergamon Film Wiedemann & Berg Film – Fournies par la Biennale de Venise