De Alex Lutz
Avec Alex Lutz, Tom Dingler, Pascale Arbillot
Chronique : Guy Jamet n’existe pas. C’est important de le préciser en préambule, car le docu-fiction réalisé par Alex Lutz nous fait très vite oublier cette évidence, tant son Guy Jamet sonne « vrai ».
Conceptuellement, le film est une grande réussite. Lutz utilise les codes du documentaire avec habileté, jongle entre fausses images d’archive (bluffantes de réalisme) et confessions du vieux chanteur face caméra, il saisit des moments d’intimité dans sa maison du sud de la France et crée des instants de convivialité pleine d’authenticité avec sa troupe sur les routes de sa tournée.
Le rythme est excellent, le montage également, bien meilleur que de nombreux « vrais » documentaires.
On y croit aussi parce que c’est lui, Alex Lutz, définitivement le roi du travestissement. De la même façon qu’il disparaît totalement derrière le maquillage de Catherine sur Canal, on l’oublie totalement en Guy Jamet. Ses mimiques, son phrasé, son regard, son évolution physique au fil des (fausses) années qui passent, il est crédible en tout.
Mais Guy raconte autre chose qu’un concept réussi et va plus loin qu’un simple grimage. Alex Lutz se trouve être aussi un excellent auteur et livre un formidable portrait. Celui d’un père qui s’ignore et d’un fils qui le cherche. Le portait fantasmé d’un artiste vieillissant qui a laissé derrière lui ses plus belles années, qui encaisse les coups du temps qui passe mais qui entretient la flamme comme il peut.
Guy raconte beaucoup sur la vie cabossée de saltimbanque, de la capricieuse célébrité, du passage de la gloire à une certaine solitude, des excès et addictions qui comblent les manquent. Que ce soit sur la filiation ou la vieillesse, Alex Lutz fait preuve d’une étonnante et remarquable pudeur alors que les sujets prêtaient aisément à l’outrance. Il aurait pu traiter ces traits de caractère avec de gros sabots. Il les effleure avec une grande subtilité, les évoque au détour d’un interview improvisée dans une boîte à hôtesse où d’une balade à cheval, et passe à autre chose.
Le jeune réalisateur semble avoir appris de son premier film (Le talent de mes amis), plein de bonnes intentions mais immodeste et dans lequel rien n’allait, ni l’histoire, ni le rythme, ni le jeu, ni le ton lénifiant et dégoulinant de bons sentiments. Mais tout ce qu’il avait raté alors fonctionne ici.
Il parvient à faire émerger des sentiments sans sentimentalisme, à présenter un personnage haut en couleur sans le caricaturer. Il aurait pu faire de Guy un vieux beau aigri, un connard égoïste. C’est un chanteur populaire, avec les défauts et les vices de son époque, mais qui tente de se faire à la nôtre. Lutz aurait pu être moqueur, mais il aime profondément son personnage, et l’aborde de manière drôle et bienveillante, truculente parfois et même émouvante (Dani fait en ce sens une apparition remarquée)
Car il est touchant ce Guy, légèrement décalé avec le monde actuel mais lucide, se regardant dans le miroir avec un léger sourire doux-amer, mais jamais pathétique.
En créant ce personnage de toute pièce, en l’incarnant si parfaitement, Alex Lutz a sans doute trouvé sa voie en tant que réalisateur. Certes le travestissement aide, mais c’est clairement lui en tant qu’artiste qui parle. Un artiste ayant à cœur de proposer un film délicat et populaire, au sens le plus noble du terme, à l’image de son héros vieillissant. Cette fois-ci, c’est une belle réussite et une très jolie surprise.
Synopsis : Gauthier, un jeune journaliste, apprend par sa mère qu’il serait le fils illégitime de Guy Jamet, un artiste de variété française ayant eu son heure de gloire entre les années 60 et 90. Celui-ci est justement en train de sortir un album de reprises et de faire une tournée. Gauthier décide de le suivre, caméra au poing, dans sa vie quotidienne et ses concerts de province, pour en faire un portrait documentaire.