Lucia (Marianna Fontana), une jeune gardienne de chèvres, essaie de trouver sa propre voie entre les deux populations. Elle a vécu jusqu’ici auprès de ses proches, dans une petite bergerie sur les hauteurs de l’île, et n’envisageait rien d’autre que cette existence là, auprès des animaux et de ses parents, dans le respect de traditions séculaires. La découverte de ces drôles d’individus qui passent leurs journées nus comme des vers à se dorer au soleil, et leurs nuits à danser à la belle étoile ou à se livrer à de curieuses expériences artistiques lui ouvre de nouveaux horizons. La mort de son père et la décision familiale de la marier contre son gré vont l’inciter à se rapprocher de la communauté.
Là, elle apprend à lire et écrire, rencontre d’autres personnes, découvre une conception de la vie qui lui était totalement étrangère. Elle est aussi le témoin de l’opposition d’idées entre le leader de cette communauté, Seybu (Reynout Scholten Van Aschat), qui ne jure que par l’art, la spiritualité et la connexion avec la nature et le jeune docteur de l’île, Carlo (Antonio Folletto), qui croit au progrès et à la vérité scientifique. La seule chose qui rapproche les deux hommes, outre leur culture et leur éducation, c’est la certitude que le monde est en train de changer. Seybu pense que la guerre poussera les être humains à revenir à l’essentiel et mener une vie plus simple, plus spirituelle. Carlo se dit que la guerre permettra l’avènement d’une société plus collective, mais dans le sens politique du terme.
Ils ne réalisent pas vraiment que le changement a commencé et qu’il va briser leurs utopies. Contrairement à ce que pense Carlo, la première guerre mondiale servira surtout à l’essor des régimes totalitaires et encore plus de conflits meurtriers. Quant à la communauté rêvée par Seybu, elle est déjà en train de voler en éclats, suite à des divergences artistiques, et l’intégration d’individus animés de mauvaises intentions, profitant de la naïveté des membres du groupe pour les manipuler et les soumettre à leurs désirs.
On retrouve là le fil conducteur de l’oeuvre de Mario Martone, qui confronte souvent ses personnages, artistes, scientifiques ou intellectuels, à un monde qui met à mal leurs convictions ou leurs idéaux. Il y avait de cela dans Mort d’un mathématicien napolitain, L’Odeur du sang ou encore Leopardi. Et on retrouve aussi, hélas, ses principaux défauts : une mise en scène un peu trop académique et un manque de rythme global qui finit par susciter l’ennui plutôt que l’excitation cérébrale souhaitée. Pourtant, l’enrobage du film est soigné. Le cinéaste réussit à créer une ambiance singulière, onirique, à la fois lumineuse et sombre, envoûtante et inquiétante. Mais, victime de ses ambitions un peu trop élevées, il peine à entrelacer efficacement les différents fils narratifs de son récit. Il aurait mieux fait de se concentrer sur celui qui est à la fois le plus simple et le plus efficace, le parcours d’une jeune femme qui apprend à s’affranchir de la domination des hommes et à s’émanciper, pour prendre in fine un nouveau départ.
D’ailleurs, si le film devait glaner un prix, on miserait moins sur un prix de mise en scène ou un Lion d’Or que sur un Prix d’interprétation ou un Lion du Futur pour Marianna Fontana, jeune actrice crevant l’écran et captant merveilleusement la lumière. Pas une révolution, non. Une révélation.