Première Année, comédie dramatique française de 2018, réalisé par Thomas Lilti, avec William Lebghil et Vincent Lacoste
Il est souvent difficile d’appréhender objectivement un film dont l’histoire s’inscrit en véritable écho de notre propre expérience. J’ai terminé en juin dernier ma deuxième tentative en PACES, couronnée de succès, et voir en salles quelques mois plus tard un film comme Première Année était l’occasion à titre personnel de faire un retour en arrière, mais également de continuer à suivre la carrière de Thomas Lilti, dont ce quatrième film nous démontre que l’on peut faire cohabiter médecine et cinéma. Mais alors, que vaut le film, et quelle représentation de la PACES nous offre-t-il ?
Il nous faut, à mon sens, tout d’abord évoquer Première Année comme objet filmique. Troisième volet de cette vraie-fausse trilogie médicale à l’oeil documentariste, le film nous raconte donc l’histoire de Benjamin et Antoine, deux étudiants qui vont tenter de passer la redoutable première année de médecine. Avec ce retour aux sources, Thomas Lilti cherche d’une certaine manière à boucler la boucle, en prenant un certain recul. Force est de constater qu’en trois films, Lilti a énormément progressé en tant que réalisateur. Il nous offre ici une mise en scène intimiste, dans la lignée de ces oeuvres précédentes, tout en y accolant cette fois une certaine virtuosité. Désormais pleinement à l’aise caméra à la main, il offre au film une vraie identité artistique, que ça soit visuellement, avec un fort travail sur la couleur en jouant notamment sur le beige opressant de la faculté et le bleu rassurant des coins intimistes (jusqu’au renversement, où la tant redoutée salle de concours adopte les mêmes teintes), mais livre également une vraie patte, avec pour la première fois une vrai bande son prenante et mémorable. Mais la force du cinéma de Lilti repose avant tout sur la performance d’acteur. En faisant revenir le diablement sous-estimé Vincent Lacoste, quatre ans après Hippocrate pour cette fois-ci lui offrir le rôle de l’expérimenté blasé, et confiant à William Lebghil, qui démontre après Le Sens de la Fête que la série SODA est une mince estimation de son talent, celui du jeune bizuth encore tendre (est-ce d’ailleurs une coïncidence si le personnage de Lebghil dans Première Année se prénomme Benjamin, comme celui de Lacoste dans Hippocrate ?), Thomas Lilti offre au spectateur la chance de voir devant ses yeux deux personnages attachants, campés par deux acteurs au jeu fin et s’intégrant parfaitement dans la logique cinématographique du réalisateur. Porté par ses deux acteurs littéralement étincelants de bout en bout, et par un travail de réalisation vraiment plusieurs crans au-dessus des précédents travaux de Lilti (comme par exemple ce splendide travelling sur les deux étudiants entourés de tous leurs cours), Première Année a donc tout pour se faire une belle place au panthéon des meilleurs films français de l’année. Mais il est malheureusement plombé par un scénario relativement maladroit, fonctionnant un peu par à-coups, manquement de finesse, comme lors de l’introduction de deux personnages dès le début du film, et pour lesquels nous devront attendre le dernier acte pour comprendre qu’il s’agit des frères de Benjamin, pour finalement se conclure sur un final rocambolesque et qui sonne atrocement faux et vient sérieusement ternir notre ressenti final.
C’est justement dans son approche scénaristique que Première Année se distingue le plus nettement de ces deux prédécesseurs. Si ces derniers optaient pour un regard plutôt documentariste, en cherchant à nous montrer de la manière la plus frontale une réalité, Première Année rend son monde au service de ses personnages, et non pas ses personnages comme reflet intégral de la réalité dans laquelle il évolue. Cela l’oblige donc à créer une certaine trame dramatique en multipliant les situations à de multiples protagonistes ; et si cela peut sembler une preuve de maturité cinématographique, il s’avère que ce choix provoque une réelle dissonance avec son sujet. Cela dès la première scène : on ne choisit pas en PACES sa spécialité en amphithéâtre devant toute la promo en fin d’année, mais via un choix privé, sur Internet, dès le mois de février après les résultats du premier semestre : en effet, le 2ème semestre contient un enseignement de spécialité qui dépend de ce choix. Si cette liberté scénaristique, en reprenant une habitude de l’ancien système, est là pour servir la trame dramatique de l’histoire et introduire le personnage d’Antoine, elle illustre dès le début l’intention de Thomas Lilti la volonté de s’inscrire dans une fiction et non dans un oeil presque documentariste. C’est également en cherchant à s’adresser un public plus large que le strict cercle des étudiants en médecine, Lilti tend à prolonger les stéréotypes liés à cette première année, quitte à omettre de nombreux aspects de celle-ci. C’est alors que mon expérience personnelle vient résonner en cette critique : en ne faisant de cette année-là celle d’un travail acharné au-dessus de tout, le réalisateur en oublie ce qui fait la dureté de cette PACES. Soyons franc : le stéréotype lié au travail incommensurable est loin d’être anodin. Si la quantité est importante, il n’en reste pas moins que la difficulté réside en la prise d’une habitude de vie, celle de travailler continuellement : une fois lancé, cela nous semble parfaitement normal. Cependant, et c’est en ça à mon humble avis que le film fait fausse route, c’est en mettant trop de côté la dimension psychologique de la chose. Cette erreur réside parfaitement en une phrase prononcée par Vincent Lacoste au début du film, lorsqu’il dit à William Lebghil qu’il ne faut pas pleurer, et qu’il faut cacher les émotions qui retrouveront leur place seulement après le concours. La vraie difficulté est la pression, le poids psychologique, le stress que cette année procure plonge les élèves dans un état semi-dépressif, rendant le seul moment où cela est vraiment expliqué (quand Antoine, au deuxième semestre, s’inflige jusqu’à la rupture un rythme infernal) pas si étranger que ça. La PACES est avant tout un moment de souffrance intime, de sacrifice physique, psychiques, moraux, de transformation bestiale qui pousse, non pas les plus grands travailleurs, mais les personnes les plus méthodiques et les plus fortes mentalement à réussir. Mais malgré tout, cela manque d’équilibre, de réalisme, et, après avoir traversé cette épreuve pendant deux années, on se demande sérieusement si ce que l’on voit à l’écran représente vraiment ce que l’on a vécu.
C’est là tout le paradoxe de Première Année : s’il est sans véritable conteste possible la meilleure oeuvre sur le plan cinématographique de Lilti, le film est également sa plus frustrante, car en trahissant son côté documentaire, le film perd la véritable force mémorielle de ces prédécesseurs. Outre les précédents problèmes illustrés plus haut, le parti pris de prendre un triplant, ayant raté à une place près le concours l’année précédente (dans la réalité, il n’aurait pas eu le droit à une troisième tentative, sa raison n’étant pas « suffisante », soit dit en passant), et un primant, un gamin avec beaucoup de facilités et ne sachant pas quoi faire, deux cas qui représentent une énorme minorité des personnes présentes dans les amphis de PACES, dénote avec l’idée d’un regard vraiment objectif sur cette première année. C’est une sensation d’inachevé, en alternant séquences d’une réalité glaçante (les interviews avant les épreuves par exemple) et scènes sorties de nulle part, que Première Année nous rappelle les limites de l’exercice auquel se prête Lilti depuis quelques années : celui de construire une fiction au plus proche d’une réalité, en essayant de déformer ce monde le moins possible. Force est de constater que cette mission a quelque peu échoué ici, et que, si le film est une très bonne oeuvre, assez prenante, il lui manque cette petite touche qui faisait la grandeur d’Hippocrate et Médecin de Campagne, celle qui nous évite de nous dire « j’ai vu un très bon film comme j’en vois trop peu en France, mais celui-ci passe à côté de l’essence et de l’intérêt de son sujet, alors qu’il avait un gros potentiel ». Cela malgré le formidable travail de Thomas Lilti, ou malgré les excellentes performances de Lacoste et Lebghil.
Note
3.75/5
Très bon sur le plan cinématographique, beaucoup sur le plan de la PACES, Première Année est un très bon moment de cinéma, malheureusement plombé par un sujet dont il passe à côté. Si le film reste supérieur à de nombreuses productions françaises, force est constater qu’il laisse malheureusement un petit goût d’inachevé.
Bande-annonce :