Le Val d'Enfer (1943) de Maurice Tourneur

Voilà un film méconnu qui se doit d'être plus reconnu, autant pour ses qualités intrinsèques que, ironie du sort, pour son contexte historique. Le film est produit par la Continental Films, firme créée par les allemands sous l'instigation de Joseph Goebbels à une époque où quasi tous les membres actifs du cinéma français avaient l'obligation de travailler pour eux. Le réalisateur est Maurice Tourneur, fils du réalisateur Jacques Tourneur et grand réalisateur ayant eu une belle carrière à Hollywood avant de revenir en France à l'avènement du parlant. Le scénariste est Carlo Rim dont l'épouse était juive !

Le Val d'Enfer (1943) de Maurice Tourneur

L'histoire est d'abord celle de Noël, quarantenaire veuf et rustre, patron d'une carrière de pierre qui vit encore avec ses parents et qui a banni son fils voyou. Il prend sous son aile une jeune femme ayant eu une vie peu recommandable après une promesse mais très vite il tombe sous son charme. La belle s'avère être une garce qui le coupe petit à petit de ses proches tout en le trompant... Cet homme est interprété par le toujours imposant Gabriel Gabrio, acteur trop méconnu mais acteur majeur de son époque qu'on a pu voir dans "Au Nom de la Loi" (1932) et "Les Deux Orphelines" (1933) tous deux également de Maurice Tourneur mais aussi dans les grands films "Les Croix de Bois" (1931) de Raymond Bernard, "Regain" (1937) de Marcel Pagnol, "Pépé le Moko" (1937) de Julien Duvivier et "Les Visiteurs du Soir" (1942) de Marcel Carné. La garce est incarnée de la plus belle des manières par Ginette Leclerc (qui disait d'elle : "Je suis l'actrice qui a fait le plus longtemps le trottoir et qui a été le plus souvent assassinée"), qui joue là un rôle qui ne serait pas sans rappeler la jolie salope de "La Femme du Boulanger" (1938) de Marcel Pagnol. En prime les parents, les "vieux" joués par les "gueules" omniprésentes dans le cinéma français des années 30 à 50 avec Gabrielle Fontan et Edouard Delmont. La première retrouve son cinéaste de "La Main du Diable" (1943) de Maurice Tourneur, le second retrouve notamment Ginette Leclerc après "La Femme du Boulanger"... Soulignons d'abord le contexte politique de l'époque, à savoir un film sous l'occupation, produit par une firme allemande, écrit par un homme marié à une juive (réfugiée dans le sud), avec une star, Ginette Leclerc qui aura des soucis à la Libération pour avoir gérer un cabaret avec son compagnon qui était connu comme étant un repaire d'officier allemands... Ceci expliquant sans doute que le film puisse faire un beau portrait du "Travail, Famille, Patrie" cher au régime de Vichy...

Le Val d'Enfer (1943) de Maurice Tourneur

Mais ça serait aussi faire un raccourci un peu simple et facile, arasant du même coup le magnifique travail de Maurice Tourneur. Le film reste un portrait réaliste d'une époque révolue où un vieux garçon se fait alpaguer par une vamp sensuelle. On est touché par cet homme dont la solitude semble enfin brisée pour le plus grand bonheur de ses "vieux" parents qui vont jusqu'à s'évincer malgré la garce qui leur vole leur fils, mais en jugeant que s'il ne sait rien il ne peut pas être triste ; son bonheur est à ce prix... On apprécie les détails du quotidien, notamment le système patriarchal avec maman qui cuisine et met la table puis qui dîne seule dans un coin, les femmes au ménage, à la cuisine, au linge et au mieux à se promener et à faire la coquette tandis que les hommes sont au boulot on donc droit à étendre leurs jambes sous la table. N'oublions pas que nous sommes en 1943 ! En prime l'environnement du travail s'avère être une carrière, lieu assez rare au cinéma et travail rude rarement montré sur grand écran. Plus qu'un drame conjugal qu'on devine sous-jacent le film est une tragédie familiale autour d'un homme qui se construit difficilement auprès de ses proches, à l'image de sa carrière de pierre qui semble immuable. La grande réussite du film réside aussi dans son final, après un récit plutôt fataliste et sombre, avec en prime un crime parfait inattendu le film offre une pointe d'optimisme tout aussi inattendu. On salue le travail sur les dialogues, à la fois ancrés dans la réalité de ce milieu et semés de répliques pleines d'acuité.

Note :

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