De Kirill Serebrennikov
Avec Roman Bilyk, Irina Starshenbaum, Teo Yoo
Chronique : Il souffle un air vibrant de liberté sur Leto, le film de Kirill Serebrennikov. Du fait de son sujet évidemment, l’émancipation par le rock d’une jeunesse soviétique, mais aussi, et peut-être surtout, à travers son style iconoclaste, débordant les cadres et cassant les codes. Ce n’est pas tant l’élégant et classieux noir et blanc qui étonne, mais plutôt les embardées lyriques et poétiques qui extraient le film de la réalité. Un personnage fantoche et énigmatique, sans doute la voix du réalisateur, apparait régulièrement pour nous rappeler que « ça n’est pas arrivé » lors de numéros musicaux fantasmés et tous exaltants. Une rébellion punk dans un train de banlieue, des usagers fredonnant The Passenger d’Iggy Pop dans un tramway blindé, une femme trompée et désespérée hurlant Perfect Day de Lou Reed sous une pluie battante, autant de passages géniaux sublimés par une brillante idée de mise en scène, des incrustations à l’image au trait blanc venant appuyer le côté pop, doux ou énervé de chacun. Cet effet revient souvent, mais il n’est pas le seul. Lorsque Serebrennikoc revient à la couleur, c’est pour diffuser des images filmées en 8mm, comme si ses personnages s’extrayaient du réel, imaginant un monde meilleur. Le film se termine sur des reconstitutions jubilatoires par les personnages des pochettes les plus célèbres de l’histoire du rock, toujours avec style. La musique est clé dans Leto, elle traverse le film, le porte, comble les vides. Elle éclaire un moment charnière de l’URSS alors que les prémisses de la perestroïka se font sentir. La censure se fait moins répressive, le pouvoir lâche un peu de lest à cette jeunesse qu’elle souhaite reconquérir tout en maîtrisant son discours. Cela donne lieu à de drôles de scènes, comme l’introduction de Leto, un concert de rock bien étrange, qu’on autorise du bout des doigts, au cours duquel on frappe à peine des mains, où l’on guette les battements de pieds à réprimer mais que tout le monde rêve de voir s’enflammer. Cet entre-deux plus permissif est le terrain de jeu libertaire idéal de Leto.
Dommage qu’un triangle amoureux dépassionné et ennuyeux vienne diluer inutilement cet élan émancipateur que porte la musique et ce mouvement punk-rock moins contraint qui cherche à sortir de l’underground sans y perdre son âme. Elle atténue la pertinence de la photographie de cette jeunesse enfin joyeuse mais consciente de ce qui est en jeu. Malgré son bel onirisme et ses trouvailles visuels, Leto s’étend inutilement en romantisme froid, et aurait mérité d’être plus resserré pour conserver l’impact qu’il est censé produire.
Synopsis : Leningrad. Un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.