Une Affaire de Famille (2018) de Hirokazu Kore-Eda

Après son Prix du Jury pour "Tel Père, tel Fils" (2013), le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda obtient la palme d'Or au dernier Festival de Cannes avec "Manbiki Kazoku" (en V.O. littéralement "la famille des vols à l'étalage"). Par là même, après un détour vers le thriller avec "The Third Murder" (2018), le cinéaste revient à son sujet de prédilection, à savoir la famille sous toutes ses formes comme il a pu déjà nous éblouir de ses drames pleins de justesse et d'acuité comme "Nobody Knows" (2003), "Still Walking" (2008), "I Wish" (2012), "Notre Petite Soeur" (2014) ou encore "Après la Tempête" (2017)... On suit donc le quotidien d'une famille de marginaux qui vivent de vols à l'étalage. Ils "recueillent une petite fille qui semble maltraitée et l'intègrent sans difficulté au sein de leur famille jusqu'au jour où la police fait surface... Dans cette famille, les "parents" sont incarnés par l'acteur Lily Franky, fidèle de Kore-Eda ayant joué pour lui dans ses trois derniers drames familiaux, et Sakura Ando qu'on avait vu dans (2013) de Kiyoshi Kurusawa. Outre la belle méconnue Mayu Matsuoka on notera le dernier rôle de la défunte Kiki Kirin...

Une Affaire de Famille (2018) de Hirokazu Kore-Eda

L'idée de cette histoire a été inspiré à Kore-Eda par un fait divers sur des familles touchant illégalement des pensions retraites alors que les parents sont morts depuis longtemps : "La première chose qui me soit venue en tête a été cette phrase : "seul le crime nous a réunis". Au Japon, les fraudes à l'assurance-retraite et les parents qui obligent leurs enfants à voler sont sévèrement fustigés. Bien entendu, il est légitime de vilipender les auteurs de tels actes, mais je me demande pourquoi on se met en colère pour des délits aussi insignifiants alors qu'il y a des milliers de criminels qui commettent des actes beaucoup plus graves en toute impunité. Depuis le tremblement de terre en 2011, je m'interroge sur ceux qui répètent sans cesse que les liens familiaux sont importants. Et j'ai donc eu envie d'explorer la nature de ces rapports en m'intéressant à une famille liée par des délits."... On pourrait tiquer un peu sur ces propos, est-ce parce qu'il y existe pire qu'il faut excuser de tels actes ?! On pourrait ajouter "qui vole un oeuf vole un boeuf" ?! Et surtout Kore-Eda oublie que ces personnages ne sont pas que des voleurs à l'étalage !... Néanmoins, le scénario (signé également de Kore-Eda) reste particulièrement bien construit avec une première partie qui nous met en présence d'une famille qui, outre ses larcins, semble normale sous tous rapports avec mamie, les parents et les enfants. Plusieurs indices viennent au fur et à mesure fissurer les liens internes et filiaux. Ainsi au début on s'attache plutôt facilement à cette famille qui semble unie, avec des amusements, de l'intimité et aussi leurs larcins de survie. Mais quand on commence à déceler les travers de cette famille on perd petit à petit notre empathie pour eux, notamment et surtout pour les "parents", même la grand-mère finalement s'avère avoir eu un rôle particulièrement ambigü...

Une Affaire de Famille (2018) de Hirokazu Kore-Eda

Les personnages sont décrits par Kore-Eda comme sympathiques, voir assez cocasses, comme si rien chez cette famille ne pouvait dérailler et que leurs menus larcins n'avaient rien de bien répréhensibles... Jusqu'à ce que cette vision prennent un coup dans l'aile puisque les larcins restent effectivement bien minimes faces aux révélations suivantes ! Tout à coup on reste perplexe devant la bienveillance du cinéaste envers ce qui reste des crimes. Les "parents" deviennent antipathiques tandis que les enfants tombent dans ce qu'on pourrait qualifier du syndrôme de Stokholm. On devine le propos de fond de Kore-Eda, soit démontrer que la famille ne prend pas toujours la forme traditionnelle et que la marginalité existe de par la répression policière... Si on peut comprendre le moyen utilisé, la légèreté autour des crimes et la façon dont le cinéaste veut nous forcer à excuser les crimes est un peu limite, voire dangereuse et malsaine ; ces adultes sont bels et biens dangereux et criminels, les enfants sont quoi qu'il arrive des victimes !... De son idée de départ Kore-Eda développe d'autres thèmes qui rendent son histoire presque hors-sujet. En conclusion un film un peu bancal entre l'émotion de la première partie et celle qu'on nous tente de nous faire ressentir à l'insu de notre plein gré ensuite. Dommage car on aurait aimé un film plus cohérent avec son idée originelle, moins indulgent avec les criminels. Il reste tout de même son talent indéniable à décrire les sentiments, à jouer avec les émotions sans jamais tomber dans le pathos et l'excellence de la direction d'acteu r.

Note :

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