Le retour des frères Coen se fait via la plate-forme Netflix pour un film qui fût annoncé comme une série en 6 épisodes ; sans doute une annonce prématurée due au sigle Netflix. Mais très vite les frères Coen ont affirmé qu'ils avaient toujours vu ce projet comme un film à sketchs en précisant : "Ce que je ne comprends pas avec les séries, et je crois que c'est difficile pour nous deux, c'est que les films ont un début, un milieu et une fin. Mais les histoires ouvertes ont un début, un milieu et ensuite ils s'épuisent jusqu'à lamort. ils n'ont pas vraiment de fin. Et réfléchir comme ça dans le contexte d'une histoire est très étrange comparé à la façon dont nous imaginons les choses."... En tous cas, si ce film est distribué par Netflix il n'en demeure pas moins que le film reçu l'honneur d'être présenté au Festival de Venise 2018 où il a obtenu le Prix du meilleur scénario... Ce film est donc vu comme un recueil de contes western, sortes d'histoires courtes philosophiques du far-west. D'ailleurs le film s'ouvre sur un beau livre illustré dont le titre en V.O. est "The Ballad of Buster Scruggs and Other Tales of the American Frontier"...
Niveau western les frères Coen reviennent à un genre qu'ils ont déjà explorer, à chaque fois dans un style différents avec "O'Brother" (2000), "No Country for a Old Man" (2007) et (2010). Si le tournage eût lieu en partie au Nebraska, les cinéastes sont surtout retournés au Nouveau-Mexique, là où ils avaient tourné "No Country..." et "True Grit"... Le film regroupe donc 6 "contes", intitulés successivement "La Ballade de Buster Scruggs", "Près d'Algodones", "Ticket Repas", "Gorge Dorée", "La Fille qui fût sonnée" et "Les Restes Mortels". Le casting est, une fois n'est pas coutume, surtout composé d'acteurs qui sont des nouveaux venus. A l'exception de Stephen Root qui a joué dans "O'Brother" (2000), "Ladykillers" (2004), "No Country for a Old Man" (2007) et "True Grit" (2010), ainsi que Tim Blake Nelson à l'affiche de "O'Brother" également, tous les autres acteurs sont vierges dans l'univers des deux frères Coen. Pour citer les plus connus, nous retrouvons Liam Neeson, James Franco (8ème film avec Tim Blake Nelson) qui retrouve Zoé Kazan après l'avoir croisée sur le tournage de "Dans la Vallée d'Elah" (2007) de Paul Haggis, Brendan Gleeson qui joue dans son 5ème film avec Liam Neeson depuis "Michael Collins" (1996) de Neil Jordan, le rocker Tom Waits... Notons tout de même que les Coen collabore une nouvelle fois avec le compositeur Carter Burwell, qui a signé toutes les musiques des Coen à l'exception de "Inside Llewyn Davis" (2012)... L'éternel soucis des films à sketchs restent depuis toujours la cohérence, d'un point de vue narratif bien entendu mais surtout du point de vue de la valeur intrinsèque du film. Les frères Coen n'en sont pas exempts, c'est presque une évidence, mais tous les segments ne sont pas au même niveau. Néanmoins, on retrouve leur style, leur humour, leur décalage et ce mix unique entre action, humour et tragédie. Le premier sketch est une sorte de gag énorme sur un cowboy, sorte de coq de l'ouest, pistolero de légende aussi ridicule qu'imbu de sa personne. Tim Blake Nelson est impayable dans ce rôle qui reste un vrai cadeau.
Le second brise soudain la chaîne en nous immergeant au sein d'un petit cirque ambulant, une partie sans humour et plus sombre émotionnellement. Le troisième segment est plus cynique, avec un humour noir typiquement coenien qui nous fera penser à quelques belles séquences venues de chez Sergio Leone. Le quatrième suit un chercheur d'or, isolé dans une vallée qui travaille dur pour trouver son filon, ici Tom Waits joue en solo dans une huis clos bucolique où le drame n'en est pas forcément un... Le cinquième segment suit une caravane de colons où une jeune femme soudain désoeuvrée se voit proposer une issue, Zoé Kazan y joue merveilleusement bien avec une conclusion inattendue. Et enfin, dans le sixième et ultime sketch, on se retrouve en diligence avec différents personnages qui renvoient à une pensée vers le chef d'oeuvre "La Chevauchée Fantastique" (1939) de ... Chaque partie symbolise donc un sous-genre du western (le pistolero, le charlatan, le condamné à être pendu, la ruée vers l'or, la caravane de colons, la diligence) dans lesquels les frères Coen imposent leur humour très noir, leur morale cynique et en même temps leur bienveillance leur empathie envers des personnages jamais lisses ni ennuyeux. Et si tous les segments en sont pas au même niveau l'ensemble reste particulièrement réussi et offre un écrin unique, parfois jouissif parfois mélancolique, jouant les nuances des mythes et légendes du far-west. Un très bon moment.
Note :