Pour Aaron Sorkin (auteur de The Social Network, Steve Jobs…), tant qu’une intention n’est pas clairement introduite, l’histoire n’a pas réellement commencé.
Intention et Obstacles
Pour Aaron Sorkin, c’est en ayant en tête une intention et au moins un obstacle qu’on obtient une matière dramatique peut-être encore brute et informe mais suffisante pour écrire une fiction. L’intention, c’est quelque chose que l’on veut vraiment (c’est un désir que l’on ne se contente plus de rêver, c’est un besoin à satisfaire).
Cette volonté fondamentale d’obtenir quelque chose est contrariée par un obstacle. Quelque chose ou quelqu’un se mettra en travers de notre chemin pour nous empêcher de réaliser ce à quoi nous tenons pourtant tant.
Ce qui interférera sur notre volonté ne peut être quelque chose de bénin. Un personnage rencontrera de nombreux obstacles au cours de l’intrigue. Il tentera de les surmonter ou de les contourner.
Les premiers obstacles seront assez faciles (donnant au personnage une confiance qui se retournera contre lui).
Mais il doit y avoir une tribulation qui en tous points dépasse le personnage qui devra l’affronter. C’est de la dynamique entre une volonté incoercible et une force antagoniste puissante que l’intrigue acquière ce mouvement qui la propulse vers l’avant.
Comment faire en sorte que l’intention existe vraiment ?
L’intention est à la fois obligation et urgence. Considérons l’exemple donné par Aaron Sorkin. Un couple d’amis décident de se rendre d’un lieu à un autre. Un auteur pourrait être intéressé par les rencontres que cette balade pourrait occasionner. En soi, l’idée n’est pas mauvaise.
Toutes ces rencontres sont porteuses de sens. Pour Aaron Sorkin, ce ne sera néanmoins pas suffisant pour retenir l’attention du lecteur sur les 90 ou 120 pages du scénario.
Il est nécessaire qu’au moins l’un des deux amis ait une obligation à remplir lorsqu’ils seront à destination. Par exemple, il est attendu à telle heure et tel jour pour un contrat d’embauche. Ce qui d’ailleurs détermine aussi un enjeu.
Peut-être que cet emploi représente tous ses espoirs après une longue période de galère. En d’autres termes, il doit absolument être présent à ce rendez-vous.
Les tribulations rencontrées le long du chemin sont destinées à le retarder, à lui faire manquer son rendez-vous. Les obstacles génèrent une urgence et donc de la tension dramatique (celle-ci est un outil narratif qui implique émotionnellement le lecteur et le fait participer davantage à l’histoire).
Comprenez bien que l’intention et l’obstacle ne viendront pas dénaturer ce dont vous vouliez parler en première instance. Ce qui compte, ce sont bien les rencontres que les deux amis vont faire. C’est par elles que l’auteur s’exprimera.
Mais il faut une énergie pour faire avancer l’histoire, ne serait-ce qu’un McGuffin, c’est-à-dire un prétexte, un artifice qui servira à orienter l’histoire vers l’avant. En quelque sorte, il faut que le personnage principal ait une finalité même si ce but qu’il s’est fixé n’est pas ce qui préoccupe l’auteur.
Une intention et un obstacle sérieux
Il en va de la crédibilité du personnage. L’enjeu qui est à la base de son intention ne doit pas être bénin. Il ne peut résoudre son problème d’un revers de la main (ce qu’il aura tendance à faire d’ailleurs dans un premier temps et que l’on peut considérer comme une erreur de jugement à la suite d’Aristote).
Aaron Sorkin insiste aussi sur l’obstacle qui doit représenter quelque chose de difficile à entreprendre, une adversité difficile à surmonter. Ce sera quelque chose que le personnage principal (dépositaire de l’empathie du lecteur) aura toutes les difficultés du monde à vaincre dans son contexte particulier (l’antagonisme pourrait être une simple mouche qui harcèle le héros et qu’il ne parvient pas à tuer ou bien un contrat a été mis sur sa tête et il est poursuivi par un serial killer).
Ne vous inquiétez pas si vous croyez avoir poussé le bouchon un peu trop loin. C’est ce que votre histoire demande. Insistez sur l’urgence, elle est comme un compte à rebours (et d’ailleurs, un compte à rebours est souvent concrètement ou en filigrane mis en place dans l’intrigue).
Ne croyez pas que ce que vous écrivez soit impossible. Pour Aristote et pour Aaron Sorkin, tant que cela est probable, même si cela paraît impossible, cela fonctionnera (et votre lecteur en sera satisfait).
Par exemple, une impossibilité probable serait cette situation où un hacker parviendrait à pénétrer l’un des systèmes informatiques réputé inviolable d’un gouvernement.
Et puis le héros n’est pas forcé de surmonter les obstacles. Ce qui importe, c’est qu’il essaie de le faire.
Introduire l’intention et l’obstacle
Pour Aaron Sorkin, c’est assez simple. Le personnage qui a une intention le formule expressément : je veux ceci, j’ai besoin de cela. Il faut que cela soit rapidement clair dans l’esprit du lecteur. Dès la première scène (juste après le prologue si vous en avez un), cela ne posera aucun problème pour le lecteur.
Il suffit simplement de s’assurer que ce désir soit suffisamment sérieux. Tout comme l’opposition que le personnage ne manquera pas de rencontrer dans la poursuite de son objectif. Il faut donc que le lecteur comprenne pourquoi cet objectif est crucial pour le protagoniste (donc il faut prêter une attention particulière à l’enjeu qui accompagne ce besoin expressément formulé).
Tant que l’intention n’est pas établie, l’histoire n’a pas vraiment commencé. Et comme l’essence de la fiction dramatique est le conflit, tant que l’obstacle majeur n’est pas clair, vous n’aurez pas de conflit. Il est certain qu’il faut que l’intention et l’obstacle soient compris du lecteur d’un scénario assez rapidement.
Une habitude veut que les 10 premières pages du scénario doivent accrocher le lecteur. Si celui-ci n’a plus envie de tourner les pages du scénario, c’est qu’il n’est pas accroché à l’histoire.