Objet d’adaptation fascinant malgré ses imperfections, Alita : Battle Angel est sans peine l’un des meilleurs films de Robert Rodriguez.
Annoncé depuis plus d’une quinzaine d’années, le projet d’adaptation du manga Gunnm de Yukito Kishiro par James Cameron avait fini par devenir une arlésienne, d’autant plus lorsque le cinéaste s’est plongé à corps perdu dans les contrées virtuelles de Pandora. Dès lors, on ne pouvait qu’être enthousiastes face à la résurrection du projet, mais aussi inquiets de le voir repris par Robert Rodriguez, connu pour son manque de réflexion flagrant quand il s’agit d’adapter un autre médium, et en particulier la bande-dessinée (on se souvient de Sin City et de son copier-coller case par case).
Cependant, ce choix n’est pas non plus absurde. Depuis Desperado, Rodriguez affiche sa passion pour une fusion des cultures, couplée à un amour de la technologie qui lui a permis d’expérimenter dans ses narrations (plus souvent pour le pire que pour le meilleur). Si son style décomplexé, prompt à la rupture de ton, se révèle parfois efficace (Une nuit en enfer), il est aussi conduit par un cynisme patenté, excuse à une fainéantise d’écriture et de découpage, et ce même s’il puise ses référents dans un registre Z supposément médiocre. Mais contrairement à son comparse Tarantino, Rodriguez n’élève jamais ses inspirations, et se contente de les recracher bêtement. A vrai dire, Alita : Battle Angel semble être une aubaine pour le réalisateur, car en plus de parfaitement s’implanter dans sa filmographie et ses thématiques (à commencer par le transhumanisme), le long-métrage a pu réveiller sa paresse, puisque Cameron avait déjà grandement avancé le scénario et le storyboard.
En réalité, le film jouit autant qu’il souffre de cette double paternité. Doté d’une production design aux petits oignons, d’une 3D réussie et d’un travail de performance capture bluffant (le personnage d’Alita, joué par Rosa Salazar, évite soigneusement l’uncanny valley), le film nous fait immédiatement adhérer à son univers riche, reflet de la minutie qui a toujours défini le cinéma de Cameron. De cette base, il est évident que Rodriguez s’implique plus qu’à l’accoutumé, voire s’amuse de ce terreau fertile aux expérimentations dont il a toujours rêvé. Telle une revanche sur des années de nanars potaches fabriqués dans son garage (notamment l’infâme Spy Kids 3D, dont la séquence de course automobile n’est pas sans rappeler ici les scènes de Motorball), Alita se nourrit de la hargne gloutonne de son réalisateur, qu’il transmet à son héroïne naïve, à la recherche de son identité par la violence. Ce sujet au cœur du manga, mêlé à une esthétique des corps fabuleuse, où les membres se disloquent, mutent et se réparent, reflète de manière plus consistante ce mix pop que Rodriguez prétend porter en étendard.
Puisant intelligemment dans Speed Racer, Blade 2 ou encore Scott Pilgrim pour leur utilisation pertinente des codes du jeu vidéo, de la BD et de l’animation nippone, l’ensemble se montre particulièrement jouissif lors de ses scènes d’action à la fluidité spectaculaire, parvenant à toucher du doigt une cinégénie et un sentiment de puissance que le cinéma live peine souvent à trouver. Ses positions de caméra impossibles et autres travellings fous suivant des chorégraphies vives se révèlent alors essentiels pour engendrer une empathie envers cette protagoniste surpuissante, dont la détresse s’exprime par l’incompréhension de ses propres capacités, contenues dans un corps trop faible.
Alita : Battle Angel est donc, à n’en pas douter, un pas dans la cohabitation des différents médias visuels et audiovisuels. Pour autant, cette sorte de continuité narrative ininterrompue, fantasmée par le jeu vidéo ou l’animé, ne parvient pas à se traduire dans un récit souffrant d’à-coups, voire de scènes de dialogues sur-explicatives gâchant régulièrement des enjeux que l’action arrive à définir par elle-même. Robert Rodriguez montre vite ses limites, autant dans la gestion du hors-champ de son univers que dans les émotions des personnages. Devant se débrouiller avec un premier degré qui sied bien mieux à James Cameron, le cinéaste se révèle parfois timoré lorsque des situations se montrent très extrêmes dans leur symbolique (notamment dans une séquence à la magnificence avortée, où Alita offre littéralement son cœur à l’homme qu’elle aime). Souffrant en plus d’une fin en eau de boudin, il est probable que le long-métrage ne touche pas sa cible, malgré ses bonnes intentions et son envie de cinéma ultra-dynamique qui l’emporte clairement sur ses défauts. Surprenant dans certains de ses choix, y compris dans sa violence, Alita : Battle Angel est un blockbuster fragile et touchant comme son héroïne, et qu’il faut au moins saluer pour ses risques. Reste à voir si même des producteurs jusque là « rois du monde » seront récompensés pour une telle tentative.
Réalisé par Robert Rodriguez, avec Rosa Salazar, Christoph Waltz, Mahershala Ali…
Sortie le 13 février 2019.