Les Acteurs, comédie française de 2000, réalisé par Bertrand Blier, avec Jean-Pierre Marielle, André Dussollier, Jacques Villeret et Claude Rich
Par convention, ons’imagine que le cinéma se doit de nous raconter une histoire,elle-même inscrite dans des codes ancestraux qui régissent saforme. Mais il y a aussi ces films qui bousculent ces codes, cesnon-histoires qui portent plus que jamais le cinéma dans sadimension réflexive, philosophique. En France, Bertrand Blier s’estfait artisan de cette volonté constante de bousculer ces codes, derenverser les lignes pour mettre en abîme son spectateur et sespersonnages. Alors que sort dans quelques semaines ConvoiExceptionnel, qui laisseprésager un jeu de mise en abîme, justement, autour du scénario,l’occasion était trop belle de se lancer dans sa précédenteréflexion sur le métier, Les Acteurs,qui vient justement de sortir sur Netflix. Que vaut réellement lefilm ? Simple œuvre nombriliste ou réflexion plus grande surun métier si unique ? Tentative de réponse en quelques points.
Perdu dans une foule qui ne les entend pas, Jean-Pierre Marielle, André Dussollier et Jacques Villeret discute de plusieurs facettes du métier. Dès cette première scène, Blier plante le décor. Dans une séquence vaudevillesque, le metteur en scène choisit de prendre à parti son spectateur, avec une réflexion qui semble être prise à l’envers ; plutôt que de partir du début de carrière, nos acteurs se posent, comme à l’aube de leur carrière, en rétrospection sur leur propre œuvre. « Ai-je déjà été bon ? » se demande d’ailleurs Jean-Pierre Marielle. Ici, chacun joue son propre rôle, celui de la figure publique que chacun représente. Cela nous permet par exemple de donner le mieux à une très belle séquence de râle comme seul Marielle peut nous livrer, ou bien ce savoureux moment comique avec Depardieu. Mais, au fur et à mesure que le film se déploie, le portrait public s’étiole pour laisser place à l’intérieur de la carapace, et ainsi montrer toute la dramaturgie du métier. D’abord comique, le film glisse peu à peu dans le drame et la chasse à l’homme, brisant ainsi les clichés pour humaniser ces acteurs. C’est en traitant de thématiques comme l’estime de soi, l’image publique, la sexualité, le rapport au public, la reconnaissance (avec notamment ce magnifique pêle-mêle et échange entre Dussollier et… une personne connue qui le remplace) que Blier nous offre un tour d’horizon, en ne cessant jamais de nous prendre à parti, via de nombreux regards caméras ou en introduisant des personnages du quotidien comme points d’accroches, pour plonger au plus profond de l’intimité (si les premières scènes s’exécutent dans des lieux publics et bondés, le film se désertifie progressivement pour rentrer dans la sphère privée), une intimité qui lui offre, dans un climax touchant, l’occasion de se mettre lui en-même en abîme, avec la complicité de Claude Brasseur, sur l’idée de la transmission.
Mais dès lors, n’y a-t-il pas des limites au concept ? En cherchant à éclater toute structure narrative au profit de la réflexion sur les différentes thématiques, Blier offre par moment des moments sans grande lisibilité (cette scène, notamment, chez Michel Piccoli), nous emmenant de scènes en scènes sans réel sens ou justification. Cela donne lieu bizarrement non pas à une errance comme le laisse penser le début, mais plus à une succession de moments, de représentations, comme si Blier s’extrayait même du format filmique pour tendre plus volontiers vers une organisation théâtrale, comme si, à la manière de Pierre Arditi dans l’oeuvre, notre homme ne savait plus sur quel pied danser. Si les élements comiques sont introduits convenablement, les notions dramatiques sont quant à elles plus tarabiscotées, n’apportant pas forcément énormément au récit tout en dupliquant, souvent par un très bon travail visuel et sonore, l’effet réflectif et moralisateur de l’intention. Car c’est justement dans cette inégalité permanente que le film perd de sa force et n’arrive pas, malheureusement, à se hisser complètement à la hauteur de ces ambitions. A vouloir oeuvrer pour la déconstruction et le magistral, Les Acteurs oublient que la pureté et la puissance résident dans la simplicité de l’exécution, et, à trop vouloir donner à son message une aura magistrale, il ternit la portée de son propos.
Malgré ses quelques défauts, Les Acteurs n’en reste pas moins une très bonne proposition de cinéma, singulière même. En détournant la forme pour interroger sur la substantifique moelle de la profession, Blier met à nu ses acolytes acteurs pour le meilleur et (surtout) pour le pire, tout en ne tombant jamais dans l’humour gras pour nous interroger directement, même si le film se laisse parfois dépasser par ses ambitions. Mais, au sortir de l’oeuvre, on retiendra surtout un Blier en conversation privée, symbole d’une arcade à travers laquelle nous avons eu la chance de voir s’animer pendant quelques minutes un monde si obscur d’habitude.
Note
4/5
Proposition déroutante de cinéma, Les Acteurs brise la forme pour nous offrir une réflexion captivante sur le métier d’acteur. S’il n’est pas exempt de tout défaut, le film n’en reste pas moins fait avec le coeur et sait nous captiver et nous toucher en plein coeur.
Bande-annonce
https://www.youtube.com/watch?v=4VKRAObkIak