La Favorite

La Favorite, film historique réalisé par Yórgos Lánthimos avec Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult, Joe Alwyn…

Synopsis : Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne (Olivia Colman), à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Sarah (Rachel Weisz) gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Masham (Emma Stone), arrive à la cour, Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin.

En l’espace de deux films, The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, le réalisateur grec Yórgos Lánthimos s’est imposé comme l’un des réalisateurs en vogue. Si le succès populaire n’a pas été forcément au rendez-vous, les critiques et le milieu du cinéma ne s’y sont pas trompés puisqu’il a été récompensé d’un prix du Jury en 2015 et d’un prix du scénario en 2017, tous les deux à Cannes et respectivement pour The Lobster et Mise à mort du cerf sacré.
Alors, quand on est auréolé d’un tel succès critique, difficile de ne pas attendre La Favorite, film d’époque et en costumes, et d’être impatient de voir le traitement que l’atypique réalisateur a bien pu appliquer à ce genre si codifié. Dôté d’un trio d’actrices de luxe, que vaut au final La Favorite ? Suivez-nous dans les dédales de Lanthimos…

La FavoriteAbigail Masham (Emma Stone)

On l’a dit, Yórgos Lánthimos est un réalisateur atypique, et on se doutait que La Favorite ne saurait être qu’un énième film en costumes. On ne s’y était pas trompés ; loin de se limiter à filmer un énième jeu de pouvoir dans la royauté anglaise du XVIIIème siècle, le réalisateur grec va y imposer sa patte et insuffler dans son film un cynisme et une ironie des plus hilarantes et mordantes. Un terrain de jeu idéal pour nos trois actrices principales qui ont chacun une personnalité claire et définie et ont toutes l’occasion de briller.
Olivia Colman en premier lieu, dont la performance, physique en premier lieu, donne une épaisseur au personnage d’une reine isolée et un peu gauche, dont la maladresse se voit devenir au fil du film l’expression d’une profonde solitude et d’une vie de tristesse et de pertes (en témoigne le symbole que forment ses nombreux lapins). Ainsi, ne se contentant pas d’une abusive moquerie, Lanthimos jongle habilement avec le pathétisme de son personnage qui, aidé par la performance de son actrice, rend celui-ci bien plus touchant que son irascibilité de départ aurait pu le laisser envisager.
Emma Stone, dans un second temps, tient avec ce long-métrage son meilleur rôle depuis la Mia de La La Land, qui l’avait auréolé d’un Oscar. Ici, elle incarne Abigail Hill, une jeune femme aux dents longues semblant de prime abord emplie de bonté mais dont la pratique du jeu d’influence en place dans la cour royale va rapidement faire émerger en elle un certain pragmatisme, qui la poussera à se laisser aller aux meilleurs coups bas pour garder l’oreille de la reine. Une évolution que l’actrice gère à merveille et que la caméra de Lanthimos saura capter avec le plus grand soin, se délectant des petites mimiques de l’actrice et usant d’elle pour montrer toute l’ironie de son histoire.
Elle peut être considérée (et dans les faits, dans le récit, elle l’est) comme l’alter ego du troisième personnage féminin : Sarah Marlborough, incarnée par l’excellente Rachel Weisz. De prime abord, on voit en ce personnage une femme hautaine, sûre d’elle et de sa place à la cour, qui n’hésite pas à écraser ou moquer quiconque s’oppose à elle et qui semble dominer psychologiquement une reine qui lui obéit au doigt et à l’oeil. Mais comme on l’a évoqué précédemment, Lanthimos inverse justement le rapport de force entre le personnage de Weisz et celui de Stone, puisque l’une se voit blessée physiquement (après une chute de cheval provoquée par Abigail) puis moralement, tandis que l’autre dévoile une facette bien plus obscure et qui illustre à merveille l’ironie de son réalisateur, qui tend à montrer que les plus purs intentions sont parfois salies par le plus cruel pragmatisme et la volonté de pouvoir.

Les 3 actrices sont donc parfaitement calibrées pour leur personnage et le prouvent, et l’Académie des Oscars ne s’y est pas trompé puisqu’elle a nominé les trois actrices, Colman comme meilleure actrice, et Weisz et Stone comme meilleure actrice dans un second rôle.

La FavoriteSarah (Rachel Weisz) et la reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman)

Mais le travail le plus impressionant de Lanthimos va être dans sa mise en scène. Car si les 3 actrices ont autant l’occasion d’exprimer l’étendue de leur talent, c’est parce que Lanthimos livre un film esthétiquement splendide et qui dépoussière un genre qu’on a pu considérer comme plan-plan par le passé.
La comparaison sera osée (ou douteuse, c’est selon votre regard sur le film), mais on serait presque tentés de voir dans La Favorite une sorte d’anti Barry Lyndon, ce qui se sent en particulier dans le traitement que le réalisateur réserve à son genre. Là où la lenteur du chef-d’oeuvre kubrickien offrait au film toute sa dramaturgie et sa prestance (bien aidé par l’incroyable reconstitution visuelle), le film de Lanthimos va partir dans la direction opposée et décider d’appliquer un traitement moderne, notamment dans son montage, tout en se permettant justement de se laisser aller à quelques moqueries sur son époque et de mettre en oeuvre un regard cynique sur son genre et son sujet. Pour faire court, Lanthimos tend à désacraliser son genre, là où Kubrick cherchait à lui donner de la noblesse.
La comparaison s’arrêtera là, mais paradoxalement, les deux films racontent et dénoncent peu ou prou la même chose sur la nature humaine et à quel point les jeux de pouvoir et d’influence peuvent pousser à l’aliéniation de toute morale. Le destin de nos personnages y est ici bien moins abrupt que chez Kubrick, notamment parce que Lanthimos y ajoute un certain pathétisme qui va donner une autre perspective et parce que il n’y a pas réellement de personnage central contrairement à Barry Lyndon, mais il n’en reste pas moins un message aussi percutant.

La Favorite Yórgos Lánthimos (à droite) sur le tournage

Mais il est évident que le film ne brille pas uniquement par un rapport hasardeux à un glorieux aîné. Si le film est un aussi bel alliage entre respect et modernisme, une telle beauté éthestique, c’est avant tout grâce au travail de Yórgos Lánthimos, de son directeur de la photographie Robbie Ryan, des responsables des décors et de la direction artistique Fiona Crombie et Alice Felton, de la légende Sandy Powell aux costumes et de Yorgos Mavropsaridis au montage. Le cinéma est avant tout un art collectif : La Favorite l’exprime de la plus éclatante des manières tant le résultat est marqué à la fois de l’atypisme de son metteur en scène et d’un travail de reconstitution esthétiquement splendide.
Lanthimos use en effet de quelques artefacts simples de réalisation mais qui offrent au film toute sa saveur. Premièrement, il est visiblement très friand de la longue focale, qu’il utilise dans de nombreuses scènes, notamment d’intérieur, pour emphaser le comportement de ses personnages (se laissant même aller parfois à l’utilisation d’un fish-eye). Un procédé de captation des plus basiques mais qu’on voit rarement aussi bien utilisé dans un film, et dont le genre aurait pu laisser penser qu’il aurait été plutôt tenté d’utiliser la courte focale. Bien sûr, cette dernière n’est pas absente du film et Lanthimos sait filmer ses décors avec acuité (entre autres grâce au travail sur la lumière de son chef opérateur qui offre de somptueuses scènes de nuit et autres scènes d’extérieur) et leur donner une noblesse, mais c’est avant tout parce que tout se joue par les personnages, leurs actions, leurs regards, que cela se répercute sur la mise en scène. S’exprime dans ce film dès lors un profond modernisme, d’autant plus dans un montage dynamique et rythmé qui est souvent le jeu d’une ironie mordante et de désamorçation d’effets dramatiques. Tout cela participant, comme on l’a dit, d’une désacralisation de son genre.

Aurait-on déjà trouvé, avec La Favorite, un des films de l’année ? Il est bien sûr encore trop tôt pour l’énoncer clairement, mais reste que Yórgos Lánthimos a relevé son défi avec brio et que, si son cinéma est loin d’être le plus facile à appréhender, il est en revanche un des plus passionants à visionner. Les 10 nominations aux Oscars sont-elles méritées ? Absolument.

Note

4,5/5


La Favorite est avant tout la preuve du talent exceptionnel de son réalisateur, dont le modernisme de la mise en scène dépoussière son genre et offre un terrain de jeu formidable à trois actrices au talent étincelant. Un des plus grosses réussites de ce début d’année.

Bande-annonce : 

https://www.youtube.com/watch?v=9WDNLgY4eGITrailer de The Favourite