SYNOPSIS: En 1984, l'URSS lance un sous-marin de conception révolutionnaire. Tous les services secrets américains sont sur les dents. Le capitaine Ramius, l'as de la marine soviétique, chargé des premiers essais en mer, exécute l'officier politique chargé de la surveillance du bâtiment et met le cap sur les États-Unis. Les marines des deux grandes puissances sont à sa poursuite, et personne ne connait ses intentions : revanche, provocation, geste de démence ou de paix ?
Adaptation éponyme du premier roman d'espionnage/techno-thriller de Tom Clancy et premiers pas à l'écran de son héros phare Jack Ryan, A La Poursuite d'Octobre Rouge est un film surprenant par bien des aspects. Mis en scène par un John McTiernan auréolé des succès explosifs de Predator et Die Hard, ce film d'espionnage en pleine guerre froide est sorti alors que cette dernière s'achevait (les anecdotes sont connues mais Sean Connery failli refuser le rôle en trouvant le synopsis irréaliste au vue de la pacification du conflit et un panneau d'ouverture dû être placé pour recontextualiser l'intrigue en 1984). Le film connut un destin curieux, à la fois culte pour une poignée de cinéphiles mais ne jouissant aucunement du statut mythique des aventures d' Arnold Schwarzenegger ou de Bruce Willis, immense succès public à l'époque mais douché froidement par une critique trouvant le film trop ennuyeux, un comble pour le pape du cinéma d'action hollywoodien des 90's, avortant une hypothétique trilogie avec Alec Baldwin dans la peau de Jack Ryan (remplacé très vite par Harrison Ford devant et Philip Noyce derrière la caméra suite à un désaccord de scénario de la part de McTiernan et ). Le film n'est pas à un paradoxe près mais qu'en est il aujourd'hui avec un peu de recul ?
Comme à son habitude, la première chose qui frappe dans un film de McTiernan est qu'il n'est jamais là ou on l'attend. Sur la base d'une blague voyant Rocky affronter un extraterrestre faute d'ennemi terrestre digne de son nom, McTiernan avait réussi à tirer un film d'action à l'ambiance anxiogène stratosphérique tout en livrant une leçon d'anthropologie accélérée sur la nature même de l'Homme, menant à un final d'anthologie aussi bourrin que philosophique. Le synopsis d'un homme au mauvais endroit au mauvais moment face à des terroristes se mue entre ses mains en relecture déguisée du Songe d'une Nuit d'été où McTiernan, sous couvert d'exploser les coutures du cinéma reaganien avec son héros du peuple surnommé ironiquement le "cowboy" devant affronter des ennemis de la haute société en costumes "John Philips" sur leur territoire, révolutionne au passage le cinéma d'action par son usage de l'unité de temps (quelques heures) et de lieu (le Nakatomi Plazza). Ici, en partant d'un thriller d'espionnage en pleine guerre froide frôlant la crise nucléaire, le film offre une autopsie minutieuse de l'importance de la communication. Le langage est ici une arme de destruction massive qui remplace les flingues ou les explosions, annihilant l'action spectaculaire pour laquelle McTiernan s'est fait connaître au profit d'un suspense haletant, le tout au service d'un plaidoyer pacifiste renvoyant dos à dos les deux superpuissances belliqueuses et leurs agissements.
Dans les bas fonds marins, la guerre n'a jamais autant ressemblé au cinéma à une partie d'échec de haut niveau ou les nouveaux héros ne sont plus des généraux virils ou des soldats musclés mais des analystes capables d'utiliser leurs cerveaux, à mille lieues des tropes habituelles du genre. Ce changement de paradigme est totalement raccord avec les transformations géopolitiques à venir, cette "révolution" qu'appelle Ramius, la diplomatie prenant le pas sur les barbouzeries en tout genre (il est amusant de constater que les généraux des deux blocs sont des purs clichés de "va t'en guerre"), le film donnant raison aux personnages capables d'évoluer des deux côtés et toujours tort à cet ancien monde désormais dépassé. Tout cela donne au film un ton et un rythme qui détonnent dans la filmographie du réalisateur habitué aux scènes d'actions abracadabrantesques et aux punchlines biens senties. Pourtant, en y regardant de plus près, on retrouve toujours la même recette que McTiernan applique avec soin.
L'action se déroule sur quelques jours et un décompte au scénario possiblement apocalyptique est lancé dès que l'Octobre Rouge prend la tangente, donnant une unité de temps extrêmement limitée quelle que soit l'issue de la poursuite. McTiernan limite aussi l'unité de lieu car même si l'on jongle entre plusieurs pays et le fin fond de l'océan Atlantique, le gros de l'action a lieue au bord de sous marins et comme à chaque fois, cette unité de lieue a du sens. Quoi de mieux pour parler de nature humaine qu'une jungle, terre primitive ayant accompagné l'évolution de l'humanité ? Quoi de mieux qu'une tour verticale pour symboliser les différences sociales entre le héros et ses ennemis ainsi que la montagne à escalader pour John Mcclane afin de se hisser au même niveau et reprendre le contrôle de sa vie ? Ici le sous marin forme ce même "espace mental symbolique" pour nos héros: un lieu minuscule, armé, autocentré, aux limites géographiques bien définies, replié par conséquent sur lui même et incapable de communiquer avec autrui (à l'image d'un pays vis à vis de sa langue, ses idées et de sa politique), dans un contexte inhospitalier au possible que sont les fonds marins, territoire global mortel (à l'image de la guerre froide menant à une hypothétique guerre nucléaire mondiale). Pourtant, rien ne ressemble plus à un sous marin qu'un autre sous marin avec sa géographie alambiquée et claustrophobique, doté d'une chaîne de commandement équivalente, d'un même état d'esprit de caserne, d'un même patriotisme... Ils agissent dans le film comme une loupe grossissante de l'absurdité de la guerre froide, opposant deux blocs aux mœurs différentes mais composés de la même matière, à savoir de systèmes politiques imparfaits peuplés d'Hommes souhaitant juste vivre honnêtement de leurs labeurs.
McTiernan n'aura de cesse de jongler d'un vaisseau à l'autre au delà appuyer les ironies dramatiques et les moments de tensions, pour maintenir cette analogie qu'au fond, il existe plusieurs pays mais bien qu'une seule Terre à se partager. Bien épaulé par la photo de Jan De Bont, ils arrivent à cette prouesse sans pour autant nous perdre, en utilisant une couleur primaire unique comme éclairage intérieur pour chaque sous-marin afin d'empêcher toutes confusions tout en arrivant à un rendu extrêmement réussi pour ce qui restera une des dernières productions cinématographiques "sous marine" utilisant majoritairement des maquettes et de la fumée pour reproduire cet environnement aquatique avant l'utilisation totale de CGI. De plus, via un découpage intelligent reliant ses différentes factions au sein d'un jeux du chat et de la souris géant, la paire Virkler/Wright offre un montage audacieux multipliant les raccords de déplacement, de positionnement et raccords de regards permettant à tout instant de savoir qui poursuit qui tout en liant les enjeux personnels à bords de chaque sous-marin. Ainsi, une discussion intime entre deux commandants russes évoquant leurs souhaits de passer à l'ouest donnera l'impression d'être entendue par tout l'équipage américain alors à la poursuite dudit sous marin russe déserteur, mixant la tension dramatique d'une collision entre les deux tout en liant les personnages des deux camps vers une éventuelle réconciliation. D'ailleurs, en parlant de raccords de regards, McTiernan va très fortement insister sur les yeux, ces "fenêtres de l'âme" de ses protagonistes, ceux tentant de voir plus loin que le bout de leurs nez, au delà les préjugés, multipliant les gros plans sur les yeux de Connery observant un horizon lointain mais prometteur comme ceux de Baldwin analysant autant les textes que les hommes.
Idem, sur une contrainte imposée par la convention hollywoodienne selon laquelle le public ne peut voir un film que si tous les personnages parlent un anglais parfait malgré leurs origines, le concept de sous-titres perdant soit disant le spectateur, McTiernan va livrer une scène culte et lourde de sens dans le rapprochement des deux camps via un simple zoom sur la bouche d'un personnage citant un verset de la Bible, la jonction entre réalisme et convention se faisant ironiquement au mot "Armageddon" se prononçant de la même manière dans les 2 langues. L'oreille, élément central de la réception dans la communication humaine est aussi mis à l'honneur par le rôle du sympathique technicien sonar joué par Courtney B. Vance dont on notera au passage une introduction jouant sur les stéréotypes entourant les militaires puisque ce dernier se révèle expert en musique classique. On placera ici que la sublime partition de Basil Poledouris rappelant les grandes heures des chants révolutionnaires russes avec ses chœurs puissants apporte une grandeur d'âme et un sens du grandiose au film qui aurait même fait dresser les poils d'un anti-communiste aussi notoire que Ronald Reagan. De même, on notera que l'élément central de l'intrigue donnant lieue à cette panique générale est due au système de "chenille" équipant l'Octobre Rouge et d'une dangerosité extrême car silencieux...
A ce niveau on frôle le manque de subtilité dans le propos mais l'intelligence du film est de ne pas marteler son plaidoyer au détriment de l'intrigue mais à l'inverse de proposer au spectateur l'équivalent d'une bataille navale filmique bluffante de réalisme et de suspense (rarement une impasse mexicaine n'aura été aussi stressante que celle finale du film, exploit d'autant plus remarquable que ne reposant pas sur des armes à feu mais sur la langue), incarnant noblement ses enjeux dramatiques et son message de paix grâce à une magnifique galerie de personnages hauts en couleurs. Du falot Alec Baldwin qui se révèlera héros de crise indispensable au charisme impérial d'un Sean Connery rarement aussi bien utilisé en capitaine désabusé et vivant dans le regret, en passant par un Sam Neill idéaliste en contrepoint des bourrus Scott Glenn ou James Earl Jones, le casting est de premier ordre même dans ses personnages secondaires et nous fait croire avec maestria à l'existence réelle de cette crise militaro-politique secrète. Au final, A La Poursuite d'Octobre Rouge reste un jalon indispensable dans le sous genre qu'est le "film de sous-marin" pour la maîtrise que McTiernan a su apporter à cet univers et ces codes tout en délivrant un film éloigné des clichés, doublé d'une réflexion toujours anthropologique et pacifique sur le besoin mais surtout la nécessité de l'Homme à communiquer, autant pour trouver la paix intérieure que la paix mondiale comme en témoigne la magnifique scène finale du film.