L'étrange incident

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à ESC Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « L’étrange incident » de William A. Wellman.

« Je jure de me plier à l’avis de la majorité »

1885, Nevada. Un fermier de la région, Kinkaid, aurait été assassiné, et son bétail volé. En l’absence du shérif mais commandée par son adjoint, une troupe de cow-boys, des brutes épaisses, organise une chasse à l’homme pour retrouver l’assassin.

Un vieillard, un Mexicain et un jeune homme sont accusés. Quelques citoyens s’élèvent contre cette arrestation aussi illégale qu’arbitraire…

« Du cran les gars, on ne meurt qu’une fois ! »

Ancien pionnier de l’aviation au sein de la mythique et prestigieuse Escadrille Lafayette, William A. Wellman fut le grand cinéaste de l’aviation, consacrant pas moins d’une dizaine de films aux héros des airs (« Les ailes », « Les pilotes de la mort », « Écrit dans le ciel », « Pilotes de chasse », « Aventure dans le grand nord », « C'est la guerre »...). Pour autant, après avoir débuté à la réalisation dès les années 20 et l’ère du muet, le cinéaste s’ouvre peu à peu au cours des années 30 à différents genres populaires, passant avec succès du film noir (« L’ennemi public ») au drame (« Une étoile est née ») et de la comédie (« La joyeuse suicidée ») au film d’aventures (« L’appel de la forêt », « Beau Geste »). Mais en cette fin des années 30, l’heure est surtout au western, qui deviendra le genre phare du cinéma hollywoodien des deux décennies suivantes. Suivant l’engouement populaire, Wellman s’y essaye dès 1942 avec « L’inspiratrice » avant de se lancer l’année suivante dans la réalisation de « L’étrange incident », adaptation du roman de Walter Van Tilburg Clark.

« On ne peut se faire justice soi-même sans que le monde n’en souffre. Car ce n’est pas violer une loi mais toutes les lois à la fois »

Mais en dépit de son décor (cow-boys et far-west), le film se révèle être davantage un drame moral ou un film sur la justice qu’un western à proprement parler. Prenant pour point de départ la rumeur d’un meurtre d’un notable local, Wellman met en scène la vindicte populaire et la volonté des hommes d’une bourgade de (se) faire justice eux-mêmes en l’absence du shérif. Et de pendre les trois premiers étrangers venus, forcément coupables à leurs yeux du crime précité. En opposant les tenants d’une « justice » expéditive et vengeresse et ceux, plus raisonnables et moins nombreux, qui souhaitent un respect strict de la loi et un recours à un procès équitable et juste, le cinéaste pose alors la question de du rôle et de la légitimité de la justice et met en garde avec effroi contre l’obscurantisme et la violence des mouvements de groupe, toujours à même selon lui de menacer la démocratie. A l’évidence, en ces temps troublés, le film de Wellman résonne comme un écho - pour ne pas dire une alerte - sur les dangers des sociétés au sein desquelles la justice a disparu au profit de la loi du plus fort. On pense évidemment aux régimes totalitaires et fascistes qui dominent alors l’Europe. Mais aussi un peu aux discriminations imposées par l’Amérique elle-même à certaines de ses minorités, comme les américano-japonais, emprisonnés sans aucune forme de procès dans des camps au motif qu’ils pourraient constituer une cinquième colonne. Fort d’un formidable casting, dominé par un émouvant Dana Andrews et un remarquable Henry Fonda, Wellman signe un immense film qui ouvre la voie aux grands films de procès et autres grandes fables judiciaires qui se multiplieront quinze ans plus tard (« Douze hommes en colère », « Du silence et des hommes ») comme pour effacer le traumatisme du Maccarthysme. Un chef d’œuvre humaniste absolu.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un nouveau Master Haute-Définition, en version originale américaine (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une Conversation entre Frédéric Mercier et François Bégaudeau (34 min.) et des modules « La ballade des pendus », avec Frédéric Albert Lévy (60 min.) et « Posse comitatus » avec IAC (7 min.).

Edité par ESC Editions, « L’étrange incident » est disponible en DVD ainsi qu’en blu-ray depuis le 22 janvier 2019.

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