Nuages épars

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Carlotta pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Nuages épars » de Mikio Naruse.

« Je ne veux rien de vous. Rendez-moi mon mari ! »

Yumiko Eda et son mari Hiroshi se préparent à partir vivre aux Etats-Unis. Dans quelques mois, la jeune femme enceinte donnera naissance à leur premier enfant. Mais Hiroshi, renversé par une voiture, meurt subitement. Rongé par le remords, Shiro Mishima, le responsable de l'accident, décide de verser une pension à la jeune veuve et de maintenir le contact avec elle...

« Elle t’a rendu l’argent ? Alors elle te pardonne... »

Grand spécialiste japonais du mélodrame, Mikio Naruse a toujours préféré les avis de tempête sentimentaux à la plénitude des ciels dégagés et clairs. Quatre-vingt-neuvième et dernier film de sa riche filmographie, « Nuages épars » (1967) vient ainsi clore une trilogie informelle débutée plus de dix ans plus tôt « Nuages flottants » (1955) et « Nuages d’été » (1958). Comme dans ces deux précédents films, il y est ainsi question de déplacement. Ou du moins de délocalisation de l’intrigue en province, loin de Tokyo et de sa vie tumultueuse. Un ailleurs bucolique et éloigné du reste du monde, comme un hypothétique lieu de tous les possibles et de tous les renouveaux. Y compris des amours les plus improbables. Car « Nuages épars » est avant tout l’histoire de deux êtres liés par un même drame. En l’occurrence, un accident de voiture causé par Mishima qui coutera la vie au mari de Yumiko, faisant d’elle une veuve. Cette dernière, alors enceinte et s’apprêtant à suivre son mari diplomate en Amérique voit ainsi sa vie s’écrouler.

« Cet homme est l’assassin de mon mari : comment pourrais-je l’aimer ? »

Mais comme souvent chez Naruse, les personnages - et leurs sentiments - sont bien plus complexes qu’ils n’y paraissent, laissant finalement peu de place au manichéisme : Mishima sera ainsi disculpé de l’accident, finalement du à un problème mécanique, et les deux personnages finiront malgré leurs préjugés par apprendre à se connaitre. Et à dévoiler leurs fragilités et leurs doutes. A cette occasion, le cinéaste questionne le code des valeurs morales en imaginant une idylle contraires aux convenances et au politiquement correct entre la jeune veuve et l’homme responsable malgré lui de la mort de son époux. Par petites touches délicates, Naruse filme ainsi leurs rencontres, d’abord houleuses, puis leur rapprochement progressif en captant des regards, des gestes faussement anodins et des non-dits équivoques (une balade en barque, l'attente d'un car...). Mais une nouvelle fois, telle une constante dans son œuvre, le pessimisme du cinéaste prendra le dessus et il refusera d’accorder une seconde chance rédemptrice à ses personnages, trop rongés par la culpabilité et par le poids de leur drame commun. Nous laissant le cœur gros, Naruse tire ainsi sa révérence sur un grand mélodrame élégiaque en couleurs (pour une fois !) aussi beau que triste, doublé d’un magnifique portrait de femme libre et forte. On ne pouvait rêver plus belle sortie de scène.  

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Le blu-ray : Le film et présenté dans un Master Haute-Définition, en version originale japonaise (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une préface de Pascal-Alex Vincent, cinéaste et enseignant, co-auteur du « Dictionnaire des acteurs et actrices japonais ».

Edité par Carlotta, « Nuages épars » est disponible au sein du coffret consacré à Mikio Naruse, existant en DVD et en blu-ray, depuis le 21 novembre 2018.

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