Synopsis : De retour dans sa maison d'enfance, à Santa Cruz sur la côte Californienne, Adelaïde Wilson a décidé de passer des vacances de rêves avec son mari Gabe et leurs deux enfants : Zora et Jason. Un traumatisme aussi mystérieux qu'irrésolu refait surface suite à une série d'étranges coïncidences qui déclenchent la paranoïa de cette mère de famille de plus en plus persuadée qu'un terrible malheur va s'abattre sur ceux qu'elle aime.
Après le succès surprise de Get Out il y a deux ans, fresque horrifique sur le racisme latent aux États-Unis, Jordan Peele, toujours coiffé de la double casquette de réalisateur et scénariste, semblait proposer avec Us une œuvre encore plus ambitieuse et oppressante, et l'on pouvait espérer du nouveau petit prince d'Hollywood une nouvelle belle réussite. Pour son deuxième long-métrage, Jordan Peele a-t-il donc confirmé tous les espoirs placés en lui ? Suivez-nous dans les méandres horrifiques de Us ...
Gar (Tim Heidecker), Abraham (Winston Duke), Red (Lupita Nyong'o) et Lana (Shahadi Wright-Joseph)
© Universal Pictures
La source de nos peurs se cache parfois au plus profond de nous-mêmes : tel est le message du film de Jordan Peele, qui va, au cours de son long-métrage, le distiller avec une insolente réussite.
Suivant la famille d'Adelaide durant leurs pérégrinations vacancières au cours desquels ils vont subir moult péripéties, Us propose, à l'instar du maître Alfred Hitchcock ou de son héritier Brian de Palma, d'explorer la figure du double (maléfique, ou non) en en faisant le point central de son récit horrifique avec la figure du doppelgänger, figure mythique fréquemment utilisée au cinéma auquel Jordan Peele va apporter un vent de fraîcheur en l'inscrivant dans un message politique digne d'intérêt.
Cela, nous y reviendrons plus tard, mais il convient tout d'abord de s'intéresser à la plus grande qualité de Jordan Peele : sa mise en scène. Loin de se limiter à n'être qu'un auteur talentueux mais purement référentiel (le film ne se cache pas de ses influences hitchcokiennes, et plusieurs techniques de réalisation utilisées, comme la demi-bonnette, rappellent les plus belles heures de De Palma), il offre une mise en scène inventive, intelligente, qui sait autant sublimer les séquences que se mettre au service de son récit. Il garde en effet intacte, et c'est cela le plus impressionnant, la tension de son film : dès lors que la phase d'exposition est achevée et que survient le premier élément perturbateur, le film ne daignera plus abandonner le spectateur et ne relâchera point d'un iota sa tension, sans jamais pour autant tomber dans une surenchère horrifique ; il n'a aucun mal à doser les scènes lancinantes, oppressantes, qui vont installer la tension dans la durée, et sait pertinemment quand et comment son film doit s'emballer et donner au spectateur sa réelle dose de frissons. Tour de force car la menace, au contraire de nombre de films d'horreur, n'est pas cachée : elle est frontale, bien réelle, et elle saute au visage de ces personnages comme une effroyable vérité.
Madison Curry (Adelaide Jeune)
© Universal Pictures
Rares sont ceux qui, à la manière de Jordan Peele, parviennent à capter avec une telle maitrise l'étrangeté dans l'humain. On est parcouru durant tout le long-métrage d'une étrange sensation de réel, de tangible, comme si le monstre qui nous était offert à voir n'avait rien de sensiblement abstrait ou fantastique. Exit les zombies, vampires et autres créatures fantasmagoriques : la peur de Jordan Peele a un visage proprement humain. Et cette peur, il arrive à la capter, par le regard, avec une intensité sans pareille : Lupita Nyong'o (qui, comme le reste du casting principal, a la charge lourde mais réussie de jouer un double rôle, deux rôles antinomiques), au regard terriblement lourd et pénétrant, semble désemparée devant une menace que le film ne lui épargnera pas jusqu'au dénouement final.
Comme on l'a dit, cela passe chez Jordan Peele par une maitrise de la tension inégalable. Au fil du film, les séquences, en se raccourcissant, vont enfermer le spectateur, tel un lapin dans une cage, dans un piège duquel il n'a aucune chance de réchapper et qui ne l'épargnera pas. La tension, montant crescendo, va offrir des scènes dantesques, qui s'emballent sans jamais paraitre forcées.
Grand soin est apporté également à la musique qui, à l'instar du montage, va tout autant se montrer lancinante et donner aux scènes une ambiance oppressante, comme elle saura s'accélérer, se faire plus frappante et emphaser les scènes qu'elle sublimera.
Originaire de la comédie (il a débuté dans la série à sketchs Key & Peele), il sait donc très bien manier la rupture de ton, notamment par le personnage de Gabe (Winston Duke), dont les élucubrations qu'il déblatère atténuent parfois la tension mais sont dans leur ensemble assez hilarantes et fonctionnent à merveille dans la mise en place de la tension inhérente au film. Dans cet épatant jeu de miroirs et de reflets duquel il tire l'angoisse de ses scènesv (secondé d'un excellent travail sur la lumière, toujours difficile à percevoir mais stimulant quand réussi), Jordan Peele va livrer une mise en scène brillante, toujours au service de son histoire et où tout sera présenté et amené pour une raison, le film se faisant un malin plaisir de jouer avec les nerfs de son spectateur.
Mais, Jordan Peele oblige, si le travail du réalisateur est toujours impeccable, le scénariste n'est jamais bien loin, et le message politico-religieux distillé dans Us est d'une implacable réussite.
Abraham (Winston Duke), Lana (Shahadi Wright-Joseph), Gar (Tim Heidecker) et Red (Lupita Nyong'o)
© Universal Pictures
Car, on l'a évoqué, le film prend comme point d'accroche la figure du double, avec cette famille qui découvre qu'une autre famille, dont les membres leur sont semblables en tout point, leur veulent du mal et cherchent à se venger d'une existence passée dans l'ombre.
Par ce message sur le double, l'apparence et l'American way of life, Jordan Peele dresse un constat critique sans appel de l'Amérique de la lutte des classes. Car quel plus grand représentant de cette lutte que la nation qui l'a induite dans son idéologie ?
Ainsi, Jordan Peele, tel l'être omniscient qu'il est en tant que réalisateur, force de manière punitive ses personnages à se confronter à l'une des plus grandes mais pourtant des plus indescriptibles interrogations de l'être humain : celle de se retrouver face à un autre soi. Un autre soi aussi maléfique que révélateur de la nature humaine, qui tend à réfréner la part de mal en lui, à nier son existence au point même d'imaginer qu'elle n'a jamais existé.
Et c'est là que le postulat de Us est intelligent, et qu'il est utilisé de manière optimale : cette figure du double, de l'Autre, c'est avant tout le reflet, reflet qu'exprime également avec brio la mise en scène, de soi-même, mais du soi-même rejeté, qu'on ne veut pas admettre.
Ainsi, le loquace Gabe voit son équivalent dans une brute épaisse incapable d'émettre un bruit humain, leur fille Zora se voit punie d'avoir arrêté la course, de même pour Adelaide avec la danse... Chaque personnage voit dans son Autre l'image d'un soi dont il est honteux, qu'il aimerait cacher. Par cela, Jordan Peele dénonce un monde d'apparences, qui ne cherche pas à glorifier la différence et à la célébrer mais au contraire à la contraindre de rentrer dans un moule, quand bien même elle ne s'y adapterait pas. Constat terrible sur le monde d'aujourd'hui, qui, loin de s'unir comme le promettaient toutes ces merveilleuses technologies, pousse au contraire l'humain dans ses retranchements, à l'isolement et au réveil des plus bas instincts. Ces doubles maléfiques, vêtues de rouge et simplement armés d'une paire de ciseaux (symbole autant du double que de l'idée de se libérer), ne symbolisent non pas le retour à une vie sereine, éloignée de tout modernisme (la technologie, si elle est critiquée dans ce film, est loin d'être clouée au pilori et est même parfois bénéfique), mais le retour, de manière extrême certes, à l'union entre les hommes, ce qui n'est jamais plus explicite que par la chaîne humaine qu'ils formeront.
La vision de Peele pourrait ainsi paraitre extrême, mais elle est en fait la réponse à un monde rongé par la solitude et le repli sur soi, et cette réponse n'en est qu'une conséquence cynique, et que la fin implicite comme un constat d'échec. Lutte des classes et importance de l'humanité au-delà de l'humain, tels sont les minutieux ingrédients du film de Jordan Peele, duquel on pourra trouver plusieurs sens de lecture tant il est riche de sens.
Jordan Peele sur le tournage
© Universal Pictures
Après le très réussi Get Out, Jordan Peele passe désormais un cap, et offre avec Us une vision critique de l'Amérique et ses fondements, doublé d'une mise en scène brillante qui sait aussi bien servir son récit que le sublimer, et prouve, en matière de réalisation, toute sa maitrise. Alors qu'il a été annoncé comme le showrunner de la nouvelle mouture de Twilight Zone, on ne se fait guère de souci pour la réussite de ce projet, et pour la carrière d'un réalisateur qui a su à merveille ingérer les codes du cinéma d'horreur et du cinéma en général et offrir sa propre vision, une vision qui, si elle continue d'être aussi maitrisée, promet un futur flamboyant.
Note
8,5/10
Après la réussite Get Out, Jordan Peele réitère l'exploit, et livre avec Us un film maitrisé, dantesque, aussi référentiel qu'inventif, et dont le récit, basé sur la figure du double, offre un panorama glacial de l'Amérique. Un excellent film, et la confirmation d'un réalisateur qui n'a pas fini de nous surprendre.