[CRITIQUE] : Styx

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Wolfgang Fischer
Acteurs : Susanne Wolff, Gedion Oduor Wekesa, Alexander Beyer,...
Distributeur : Sophie Dulac Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Allemand, Autrichien
Durée : 1h34min

Synopsis :

Rike, quarante ans, est médecin urgentiste. Pour ses vacances, elle a planifié un voyage en solitaire pour rejoindre l’île de l’Ascension depuis Gibraltar, une île au nord de Sainte-Hélène, où Darwin avait planté une forêt entière. Seule au milieu de l’Atlantique, après quelques jours de traversée, une tempête violente heurte son vaisseau. Le lendemain matin, l’océan change de visage et transforme son périple en un défi sans précédent…


Critique :

Exit le grand discours humaniste vide, W.Fischer préfère se concentrer sur le douloureux dilemme d’une seule femme et pointe du doigt ce qu’on préfère ne pas voir avec nos œillères occidentales, pour mieux faire de #Styx une tragédie qui appuie là où ça fait mal (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/DekF5vRjNr— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 29 mars 2019

Il existe de ces films que l’on va voir par intuition. Sans voir une seule image, sans savoir de quoi il parle. Et on ressort de la salle obscure estomaqué. C’est ce que nous propose Styx, le nouveau film de Wolfgang Fischer, dont nous avons eu très peu d’écho. Une bande annonce qui a tourné en salle deux semaines avant sa sortie et c’est tout. De quoi piquer la curiosité. Surtout quand on apprend que le film a été tourné en une seule sortie en mer, pendant un voyage entre Malte et la Sicile.

La mer est omniprésente dans l’oeuvre du cinéaste autrichien. Il y a neuf ans, il signait un thriller psychologique près des côtes bretonnes, au bord de mer Was du nicht siehst (What you don’t see). Pour son deuxième film, il choisit cette fois de ne quitter que très peu la mer, à part pour la scène d’ouverture, très énigmatique. Cette grande étendue d’eau, le voilier nommé Asa Grey, la liberté de l'héroïne principale. Mais l’aventure qui paraissait idyllique, va se transformer en véritable enfer, comme on peut s’en douter quand on sait à quoi se réfère le Styx du titre : le fleuve mythologique qui séparait le monde des vivants et le monde des Enfers. On peut aller plus loin et faire le rapprochement du serment d'Hippocrate qu’à dû faire Rike en tant que médecin urgentiste et les serments sur le Styx qui était irrévocable sous peine de châtiment exemplaire.

Médecin allemande efficace, Rike prend des vacances bien méritées à Gibraltar où elle s’apprête à embarquer sur son voilier pour une épopée jusqu’à l’île de l’Ascension, île où Darwin a planté une forêt entière, laissée à l’état sauvage. Très compétente sur son voilier, elle essuie une tempête les doigts dans le nez. Jusqu’au petit matin, quand la mer s’est calmée, où elle aperçoit un bateau, surchargée de migrant africain. Le bateau fuit et les migrants sont en danger. Rike appellent à l’aide les gardes côtes qui lui intiment de s’éloigner et de continuer son chemin, ce qu’elle n’arrive pas à faire. Un jeune homme arrive à nager jusqu’à elle, Kingsley, en mauvais état, déshydraté. Elle décide de rester jusqu'à l’arrivée des secours, qui tardent à venir…

Fischer construit son film avec une grande précision et n'hésite pas à prendre du temps sur les détails. Susanne Wolff embrasse tout entier ce personnage physique qu’est Rike. Que ce soit en tant que médecin ou sur le voilier, le film se concentre sur l'efficacité de cette femme. Véritable huis-clos, malgré l’immensité de cette mer capricieuse, Styx commence comme un périple d’une jeune femme poursuivant un but coûte que coûte, cette île mystérieuse, riche de faune et de flore créées par les hommes mais laissées à l’état sauvage. Mais le film bascule, vers un film plus politique, une question au cœur des débats, celles des migrants. Et le réalisateur trouve le ton juste pour en parler : sans tourner autour du pot, sans édulcorer l’horreur que vivent ces hommes, ces femmes et les enfants, qui fuient la misère et la violence.

Wolfgang Fischer se refuse à faire un film au grand discours humaniste mais vide, préférant creuser sur un cas précis, sur un dilemme d’une seule femme. Car comment réagirait-on dans le même cas ? Est-ce qu’on obéirait aux ordres des gardes côtes, de s’éloigner ? Ou on ne pourrait pas se détourner de la détresse sans réagir ? Rike, en tout cas, ne peut pas partir, mais elle ne peut pas non plus intervenir, son bateau étant trop petit pour accueillir tout le monde et son matériel médical limité. Donc elle attend. Des secours qui ne viennent pas, qui ne viendront peut-être jamais malgré ses appels de détresse. A son échelle, elle ne peut rien faire et ne peut qu'être témoin de la tragédie.

Styx appuie donc là où ça fait mal. Loin de la bonne morale vide de sens, le cinéaste pointe du doigt ce qu’on préfère ne pas voir, avec nos œillères occidentales.


Laura Enjolvy